Lors d’une discussion récente avec une pointure du monde des cocktails, il est apparu que la scène du bar Français perdait de l’influence à l’échelle internationale. Cette question n’a pas arrêté de trotter dans ma tête : comment rendre à la France sa place ! C’est vrai, pourquoi la France qui était en excellente position il y a quelques années est reléguée ces derniers temps et se fait doubler par la Grèce, ou l’Asie ?
Et si les « vieux » du bar refaisaient des compétitions de barmen
L’un des moyens les plus simples pour faire briller une nation, c’est de la rendre visible. Comment ? On mettant la lumière dessus. Après une génération de bartenders qui a tout gagné ou presque (Grand Prix Havana, Bacardi Legacy, Chivas, etc…), beaucoup se sont retirés pour laisser la place aux jeunes dans les compétitions. La raison est honorable.
Mais n’oublions pas que les compétitions de barmen sont aussi une passerelle d’échanges entre les générations. On regarde, on apprend, on s’inspire de techniques et d’ingrédients. Et quand bien souvent les jeunes se débrouillent très bien à l’échelle nationale, ça se gâte à l’échelle internationale.
L’âge n’est pas un facteur de réussite, nous sommes bien d’accord. Il peut arriver de côtoyer un Neymar du shaker, ou un Cristiano Ronaldo du verre à mélange. Le genre de prodige qui nous fait ravaler notre langue de vipère. Mais combien de fois à l’échelle d’une génération ? L’un des moyens de réussir, c’est d’échouer. D’échouer tellement souvent qu’au bout d’un moment la magie opère et on devient vraiment bon. Mais échouer face à meilleur que soit pour en tirer des leçons.
Pourquoi voyons-nous dans les autres pays des compétiteurs qui ont plus de 30 ans ? Des compétiteurs finalistes internationaux d’une compétition (World Class pour ne pas la citer), qui n’hésitent pas à se relancer dans une compétition avec une autre marque quelques années à plus tard (Bacardi Legacy). Jusqu’au point de la remporter, comme ce fût le cas cette année.
Ce n’est pas leur âge qui leur a permis de reporter une compétition, mais leur expérience. L’expérience des grands rendez-vous, la gestion du stress, et des techniques pour séduire un jury.
Concours VS guest bartending
« Pourquoi je me ferais chi*** à faire des concours alors que je suis payé pour aller faire des guests dans des bars au bout du monde ?« . Ça aussi c’est un refrain qui revient régulièrement. Et en effet, les guests permettent également de faire briller la scène du bar français à l’international. Mais est-ce vraiment suffisant ? Ok ça va permettre de glisser de temps en temps quelques bars dans le 50 bests bars à coup de plusieurs dizaines de milliers d’euros. Mais à part faire mousser le milieu, est-ce que le grand public en entend réellement parler ?
Oui c’est sûr, une compétition c’est du temps pour la préparer comme il se doit. C’est aussi le risque d’être associé à une marque (mais pendant un an au maximum, est-ce si long ? ). C’est surtout le risque de mettre à mal son ego. Il arrive aux meilleurs de ne pas être au top, et qu’un petit jeune vous grille la première place. Mais est-ce grave ? Est-ce que Federer aurait dû arrêter les compétitions lorsqu’il est devenu numéro 1 mondial ?
Attention au risque du milieu qui se guettoïse via les marques
Une autre raison que l’on entend souvent est « je n’ai plus le temps avec (rayez la mention inutile*) ma famille / mes établissements / mes contrats de consulting pour telle marque d’alcool« .
Oui loi Evin oblige, les marques d’alcool mettent la main sur l’un des seuls leviers qu’ils leur restent : leurs barmen prodiges. Et afin de s’assurer qu’ils n’aillent pas voir ailleurs, ils n’hésitent pas à les arroser à grand coup de contrats juteux (sponsoring / consulting / coaching …). Certes, ça fait partie du jeu et les marques d’alcool attendent un retour sur investissement, surtout quand on connait le prix d’organisation d’un concours.
Mais à force de ne pas faire attention et de généraliser la pratique, les marques sont en train de guettoïser le milieu. Tel barman roule pour telle marque. Tel établissement aussi. On utilise les barmen pour telle pub. On utilise tel établissement pour tous les événements associés à telle marque. Et au final est-ce qu’on affaiblirait pas le niveau du bar ? Ou du moins son exposition à l’international ? Ok c’est facile pour moi de parler derrière mon écran. Et si une marque venait me proposer un contrat juteux, est-ce que je ne serais pas le premier à l’accepter ?
Peut-être que le milieu du bar et les alcooliers devraient s’interroger. Chaque bar ou barmen devrait se poser la question suivante : « qu’est-ce que je fais, même à petite échelle, pour que la scène du bar française resplendisse en France et dans le monde ? »
Même s’il n’est rarement bon de se comparer, je ne peux m’empêcher de comparer avec la scène cocktail en Grèce. Pourquoi est-ce qu’ils réussissent à arriver en nombre pour mettre le feu et l’ambiance lors d’une compétition de barmen loin de chez eux ? Ils ne sont pas du même établissement. Il ne sont pas non plus tous à rouler pour cette marque. Et pourtant ils viennent en nombre soutenir l’un des leurs à plusieurs milliers de kilomètres de là.
Il faudrait aussi que les medias français arrêtaient de valoriser les établissements qui mettent à leur tête des businessmen qui n’ont jamais touché un seul shaker de leur vie ? Mais bon, c’est encore une autre histoire tout ça…
Le milieu du bar français est une grande famille comme on l’entend souvent. Mais à force de ne pas se poser de questions, il s’appauvrit et l’influence de la France baisse. Ceux qui en feront les frais ? Les vrais barmen et les passionnés. Les autres rebondiront ailleurs, dans un business plus juteux le moment venu…