Aujourd’hui, Georges s’est rendu rive gauche, dans le 5e arrondissement de Paris. À quelques encablures de la rue Monge, un bâtiment orné élégamment de végétaux. Ça tombe bien, c’est là que nous avons rendez-vous avec Adrian Nino, aux commandes du Bar 1802, logé au sein de l’hôtel Monte Christo.
Dès le hall d’accueil, on est bluffé par l’esthétique du lieu. On quitte Paris et sa chaleur étouffante ce jour-là pour entrer dans un univers onirique. À droite, la réception.À gauche, le bar avec ses 500 références de rhums. Même si la réception est attirante, l’appel de la belle bouteille est plus fort. Adrian Nino nous attend pour parler bar, rhum et créativité !
Adrian, avant le bar, quel était ton parcours ?
J’ai un parcours un peu bizarre. Je n’ai pas fait d’études, car ce n’était pas mon truc. Je me dirigeais dans une voie pro dans les métiers du spectacle : machinerie et décors de théâtre. Mais j’étais trop occupé à faire des festivals et m’éclater. Je n’ai pas eu mon diplôme comme j’aurais dû l’avoir (rires). J’ai fait quelques contrats à la Comédie française et à l’Opéra Garnier. Au même moment je faisais du foot US et je me suis fait mal au dos. C’était physique, il fallait que je fasse autre chose. Un de mes coachs sportifs qui était quelqu’un de génial m’a aidé à trouvé un petit boulot dans les écoles primaires comme boulot alimentaire. J’ai trouvé un extra au Saint Hilaire fin 2009 pour faire plus d’argent. Un petit pub avec quelques bières, un peu de cocktails, un peu de food aussi et pas mal de débit. C’était dur, payé au lance-pierre et mon travail les premiers mois, c’était de nettoyer les tables, nettoyer les toilettes et changer les fûts.
Après, j’ai eu le choix entre continuer dans le bar ou trouver autre chose. Mais, j’ai préféré le bar. Ça me rappelait le foot US, il y a un côté militaire dans le bar avec beaucoup de pression, beaucoup de contacts, très physiques, intenses. Le contact avec la clientèle était quelque chose qui me plaisait bien aussi. Tu te crées très vite une petite famille avec les habitués, et le staff.
Ensuite, j’ai rencontré mes premiers mentors au Mad Maker, un pub à gros débit, dans le quartier de la Sorbonne. Les deux managers m’ont appris beaucoup de choses sur le service, la fidélisation de la clientèle, le business. Mais aussi sur la vie. Il se trouve qu’à l’époque, ma manager sortait avec un homme qui s’appelait Laurent Besson, qui faisait beaucoup de compétitions de Flair. C’était l’époque où le Mojito Lab gagnait toutes les compétitions . Il m’a emmené à ma première compétition de Flair, et j’avais vraiment kiffé. C’est là où j’ai vu que les cocktails c’était bien plus qu’une boisson. Il m’a appris comment être plus efficace, mieux me tenir derrière le bar. J’ai essayé le flair aussi, mais je n’étais pas très doué !
Ensuite t’es passé par quels établissements ?
Je ne suis pas passé aux structures cocktails tout de suite. J’ai fait de la restauration, de la brasserie, des pubs même si le cocktail était resté dans ma tête. En 2014, je bossais pour Emilio et Nico, deux patrons géniaux qui ouvraient une petite affaire à côté du Ballroom : le Pull up et ils voulaient faire du cocktail. Moi j’étais à fond, j’avais fait des cours chez Bar Spoon, acheté tous les livres, bossé mes sirops chez moi. Donc ça me tentait de faire mes essais de barmen cocktails chez eux. Pendant 2 ans, j’étais quasiment tout seul dans cette affaire, je gérais quasiment tout sauf l’administratif. C’est là où j’ai créé mes premières recettes cocktails.
Après deux ans de collaboration, j’ai rejoint l’Expérimental Cocktail Group en 2016 à l’hôtel Matis, rue de Ponthieu, en tant que chef barman. Ça m’a permis de me tester et ça l’a grave fait. Par contre, faut bosser dur. Tu te reprends tous tes classiques, demain t’en apprends 200, après demain t’en connais 300. C’était à fond. Tout connaître la gestuelle, comment réduire tes mouvements, des fiches techniques, etc. C’est une école que je recommande à tout le monde. Il suffit de regarder le nombre de super bartender et aussi bussinessman que les mecs ont réussi à former ! Tu y vas pour te former et être super solide. Après tu as le style Expé, mais tu peux bosser partout.
Et ce sont de superbes rencontres, avec qui j’ai adoré bosser. Cela t’apprend à gérer : quand j’étais aux commandes du Ballroom, tu passes 50 cols de vodka, gin, rhum par semaine. C’était un casse-tête qui t’oblige à revoir ta façon de bosser : comment faire pour avoir des débits quasi industriels avec la qualité de l’Expé. Mais avec Nicolas Josset, on s’est dit que nous allions faire revenir l’industrie au Ballroom et nous avons réussi, je crois. On a eu les félicitations des boss, car ça faisait longtemps qu’ils n’avaient pas eu des cartes aussi créatives.
Au bout deux ans, j’ai eu besoin de vacances et de faire une coupure début 2019. Je me suis dit « Adri, t’es pas plus con qu’un autre essaie de monter ton business ». Finalement, contre toute attente, j’ai eu un coup de fil du propriétaire de l’hôtel Monte Christo, Michel Delloye. Je ne me voyais pas rempiler pour travailler pour quelqu’un, mais j’étais ouvert à la discussion. « J’ai un hôtel dans le 5e qui est neuf et on aimerait refaire la partie cocktail. On veut être le premier bar à rhum d’Europe. » C’était la demande du propriétaire. Ensuite, il me dit qu’il veut acheter des fûts. Et là ça a piqué ma curiosité, car qui fait ça aujourd’hui ? C’est une personne vraiment brillante avec une vraie réflexion.
Et c’est fin février que je suis arrivé au 1802 après quelques entretiens avec Mr Delloye et Florian Bitker, notre directeur d’opération avec qui j’apprends énormément et avec qui je collabore beaucoup pour développer l’activité du bar.
Au Bar 1802, tu as le cadre de travail d’un palace, mais avec la liberté de service et les prix d’un hôtel 4 étoiles. Donc ça ouvre plein de possibilités et je me suis dit : il y à un truc à faire ici !
C’est quoi la patte que tu essaies d’insuffler au Bar 1802 ?
C’est un mélange de styles, inspiré par l’Expé. On a sorti une carte classique-twist pour relancer le bar et nous éprouver. Déjà est-ce que du simple, classique bien fait ça plaît aux gens. Mais si cette carte plaît, réussir à faire boire un Negroni au rhum par exemple, on pourra aller sur des choses plus inattendues. Et c’est l’un des best-sellers de la carte. Même le Daiquiri, on s’aperçoit que les gens sont heureux de le trouver sur une carte, et qui ne coûte pas un bras. On le sert à 12 euros et 13 euros pour la version frozen. Tous nos cocktails sont entre 11 et 15 euros.
Nous travaillons en low waste (très peu de déchets). Nous travaillons au citron car qui dit rhum, dit exotisme, citron vert etc… Donc finalement on bosse peu le verjus ou la solution citrique (même si ça viendra plus en novembre).
Ici nous réutilisons tout ou presque en garnish, en infusion, en sirop ou cordial.
Il y a tout un processus qui t’oblige à être créatif pour repenser la manière dont on utilise nos ingrédients. Toutes les semaines c’est comme une épreuve Top Chef que l’on s’impose : « Qu’est-ce que je fais de mes déchets ?« .
Et sur la partie dégustation ?
Nous avons envie de trouver de nouveaux moyens de partager notre passion et mettre à la disposition des clients un peu plus de notre savoir-faire et de celui des gens qui sont derrière la bouteille. Nous proposons une partie dégustation où l’on propose 8 flights de dégustation entre 24 et 250 euros. On pousse le bouchon plus loin, mais ça nous montre que les gens sont prêts à investir dans la qualité. Et ça représente environ 40% de nos ventes. Il y a une vraie place à la dégustation ici.
Les gens ne viennent pas boire juste un cocktail, ils viennent chercher une expérience différente. Voilà comment on a abordé la carte qui sortira en novembre. Comment amener les gens dans un contexte encore différent du bar à cocktail ? Comment à travers juste un verre de rhum je peux faire voyager le client ? C’est ce qu’on fait ici. Et je remercie Christopher, mon bras droit pour ça, car on s’est inspiré de sa manière de bosser. Ce qu’il faisait sans le savoir : une mini masterclass à toutes les tables. Passer du temps avec tout le monde et leur faire comprendre ce qu’ils boivent. Pourquoi ils le boivent. Comment ils peuvent le boire différemment.
Certains clients arrivent avec des idées préconçues sur le rhum et ils repartent avec une vision complètement différente. Quand on a quelqu’un qui arrive, qui ne sait pas que l’on est un bar à rhum et qui demande un whisky. Mais que l’on arrive à lui proposer un rhum comme un Mount Gay XO fini dans un fût de Port Charlotte. Il a bu un rhum tourbé, et il a oublié qu’il était venu chercher un whisky. Et ça c’est cool.
Vous trouvez des alternatives pour tous les types d’alcool ?
Pour remplacer un gin-tonic, nous avons le gin créole distillé par Ferroni qui est fait à base de rhum. On a un palliatif pour tout. Évidemment nous avons des gens qui ne veulent vraiment pas le changement, et alors là oui on a un spiritueux de chaque type. Mais on n’en parle pas, sauf si vraiment on sent que ça coince. Car évidemment on ne veut fâcher personne ici. Mais, si t’es un peu curieux et tu le laisses driver, tu peux être un fan de mezcal et repartir d’ici avec le sourire alors qu’on t’aura servi du rhum.
Le Rhum avant d’être au 1802, c’était ton spiritueux de prédilection ?
Oui carrément ! C’est le premier cocktail qui m’a fait un effet waouh c’était un old fashioned à l’Eldorado 12 ans. Ça a été l’un des gros déclics. Ça a été l’une des premières bouteilles de rhums que je me suis achetée. Depuis j’en ai goûté d’autres, mais tout a commencé par là. J’avais 21 ans et j’adorais ça. Et revenir à ça dans le quartier où j’ai vécu toute mon enfance et mon adolescence, revenir dans un quartier que je fréquentais énormément, donc c’était revenir à la maison que de venir au 1802, car je suis bien là.
Cocktail, dégustation, d’autres projets au bar 1802 ?
On a l’offre cocktail. On a l’offre spiritueux. Et l’offre caviste. Donc je pense que ce que les gens recherchent désormais c’est une expérience. Est-ce que c’est un menu dégustation, une expérience immersive ? On a trouvé d’amener la chose de façon différente et un peu plus poussé sur chaque client. Et maintenant, on a le cas de figure de client qui nous demande des choses sur mesure « vas-y épate moi ». On a 500 rhums dans le backbar.
Vous souhaitez grossir encore la cave ?
Le but c’est de grossir encore un peu la cave. On ne s’arrêtera pas tant qu’on n’aura pas tout acheté (rires). En tout cas on veut avoir l’une des plus belles caves à rhum au monde, car des bars qui ont entre 300 et 800 bouteilles ça fait partie des plus belles caves, peu importe le spiritueux. En mono-produit c’est compliqué pour choisir avec qui je bosse, sur quel critère. Aujourd’hui, on a répertorié nos bouteilles de rhum par pays. Tu peux faire le tour du monde avec ce bar circulaire. Tu commences là-bas par les Antilles françaises, les Caraïbes, la Jamaïque, Barbade, Asie Pacifique et Amérique latine. Ensuite, toutes les bouteilles prestigieuses avec les bouteilles les plus rares.
C’est quoi la bouteille la plus chère que vous avez au Bar 1802 ?
C’est un Bally de 1929. À 500 euros la dose de 4 cl. Elle est ouverte donc elle n’est plus disponible à la vente, mais disponible à la dégustation.
C’est possible aussi d’acheter les bouteilles ?
Tout est possible. On part du principe qu’on essaie de ne pas dire non aux gens, et en fonction des stocks, tu peux tout acheter. Évidemment, on n’a pas un doublon sur toutes nos références, car ça serait trop compliqué en logistique. Mais beaucoup de nos best-sellers, on les a en stock, car très souvent les gens veulent repartir avec un souvenir, ou faire un cadeau. Ça veut dire qu’on a réussi à toucher les gens au point où ils veulent ramener cette expérience chez eux.
Et c’est pour ça qu’on achète aussi des fûts. Car c’est notre savoir-faire et notre expertise qui est proposée et que les gens aiment. Quand ils ramènent un Compagnie des Indes jamaïcain, il emmène un petit bout de notre travail chez eux.
Combien de fûts pour l’instant ?
Il y en a 2. Il va y en avoir un troisième en novembre. Le jus est choisi et nous sommes en train de designer l’étiquette. Mais je ne peux pas en dire plus pour l’instant ! On travaille avec un très bon ami à nous qui fait des produits extraordinaires. C’était une pépite qui n’était pas prévue d’être commercialisée et on s’est dit « On va le faire ».
Aujourd’hui tu trouves plus de plaisir dans le rhum ou les cocktails ?
Les deux ! Car je suis à fond sur la finalisation du nouveau menu. Ça prend énormément de temps. L’un amène l’autre. À la base j’étais parti goûter des produits pour les placer sur le menu. Et je repars avec un produit pour la dégustation. Je passe mon temps à jumper d’un côté à l’autre. Nous sommes toujours à la recherche de nouveaux produits, de nouveaux fûts à débusquer. Nous avons des gens avec qui nous travaillons qui sont des gens super, aussi bien les producteurs que les importateurs. C’est un milieu qui t’amène à rencontrer des gens incroyables. Dans notre vitrine, nous avons des bouteilles autographiées par des maestros, distillateurs… Chaque fois que l’on reçoit quelqu’un, nous lui demandons de signer une petite bouteille. Ça atteste d’une rencontre qui s’est passée et dans laquelle on a appris encore beaucoup de choses, et nous permet de gagner en maturité grâce à eux.
Quelles sont tes sources de créativité ?
Le fait d’être passé par l’Expé m’a permis de trouvé mon style a travers des bases classiques très poussées et pointues. Tout ce qui est oldies, ça me parle.
Je m’inspire des gens que je fréquente ou que je suis sur les réseaux comme Scout ou Operation Dagger qui font des choses très pointues et hyper barrées, même si on a pas les mêmes moyens techniques aujourd’hui, ni la place et la volonté de travailler exactement pareil. Ce sont des gens créatifs qui nous inspirent beaucoup. Des mecs comme Dante qui sont dans l’innovation, mais qui partent de bases classiques pour travailler. Et Bisou. : ce sont de super potes qui font partie des gens qui m’ont inspiré pour le low Waste. Ou encore Native qui sont en mode zéro déchet, tout local. Des puristes. Après, tu découvres des mecs comme le propriétaire de Panda & Sons à Édimbourg Iain mcpherson, qui vient d’inventer le switch.
Je n’ai pas la prétention de révolutionner le bar, mais j’essaie de suivre ceux qui le font. J’essaie de ne pas les copier, j’apprends d’eux au service de ma progression et de ma clientèle.
Ma femme vient d’un univers créatif, elle a travaillé dans la mode, le design. C’est des choses qui me touchent et dont je peux m’inspirer dans le design de mes verres, ou de mes cartes.
Mes origines sud-américaines m’inspirent aussi. Et j’essaie de tirer avantage de tout cela.
Qu’est ce qu’on peut te souhaiter pour 2019-2020 ?
Encore plus de rhum !! (Rires). De boucler cette année avec l’anniversaire du bar en novembre, et que la nouvelle carte plaise. Et qu’on nous souhaite de continuer à faire plaisir aux gens. Que les gens viennent et continue de faire le pas de découvrir des choses un peu différentes.
Je me prononce un peu en avance, on a ouvert il y a un mois le restaurant juste en face avec Jean Baptiste Ascione, un ancien de Top Chef, avec qui on travaille ensemble sur l’élaboration d’un menu expérience. Dans un petit salon privatif caché dans le restaurant, il accueillera les personnes qui veulent se faire un bon dîner avec des produits de fou, des rhums exceptionnels et la possibilité d’allumer leur cigare dans cet endroit privilégié. C’est un projet sur lequel on bosse pas mal dessus, et on se fait très plaisir. On cherche en ce moment des bouteilles de malade pour les proposer. Des belles choses qui arrivent !
Bar 1802 –
20-22, rue PascalParis
75005 Paris
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