Ne vous fiez pas à sa nonchalance et à sa bonhomie ! Derrière cette façade, Maxence Piattelli est un monstre de travail et surtout, un visionnaire ! Aujourd’hui, tout le monde ou presque parle du cocktail à la pression. Lui, cela fait des années qu’il teste, cherche et améliore le système. Un amoureux des saveurs, qui n’hésite pas à donner des coups de pied dans la fourmilière lorsqu’il le faut. Mi-geek, mi-artiste, aujourd’hui exilé à Londres, nous avons voulu en savoir plus sur Maxence, mais aussi sur le cocktail à la pression !

Quelle expérience t’a donné envie d’entrer dans le monde du bar ?

J’avais 15 ans, et il y avait ce barman hyper sympa en Crète, dans un club Marmara, qui faisait du flair bartending. Il me montrait comment faire tourner les bouteilles. Je trouvais ça vraiment cool. Je me disais qu’un jour, ça pourrait être moi.

Le cirque m’a toujours intéressé quand j’étais jeune. Je suis même parti habiter en Italie quand j’avais 18 ans avec une bande de copains pour faire du cirque de rue. Nous buvions plus de rhum que ce qu’on jonglait, mais j’aimais vraiment ce truc-là. Le bar a commencé par cette porte : le métier que je peux faire 35 heures par semaine, en étant payé pour jongler dans une atmosphère qui est cool.

Je suis rentré plutôt par la porte flair bartending avant de me passionner vraiment pour le goût des choses.

Et au retour d’Italie, mes potes sortaient dans des bars. Je ne suis pas le gars le plus festif de la planète, et être dans un bar, ce n’était pas mon mood. Mon idée a été d’être barman pour être avec mes potes, tout en étant mon boulot.

Parle-nous de ton parcours.

Je commence jardinier, ensuite j’essaie de faire du cirque. Quand je vois que ça va être compliqué, je pars en Haute-Savoie où je fais la plonge dans un restaurant. Je me fais embaucher dans un bar où, je commence vraiment à servir des pintes et des picons. Je n’arrive pas à croire que je suis payé pour faire un job aussi facile. Non pas que le job de barman soit facile, mais je trouve ça vraiment dingue d’être payé pour m’amuser. Je reviens ensuite à Nantes pour faire un CQP à l’école Henriman Formation. J’ai beaucoup de chance parce qu’il y a un formateur, Maxime, qui est très talentueux, qui nous donne vraiment la passion des humains derrière les bouteilles et de la manière dont on raconte l’histoire des cocktails.

C’est là que je me passionne pour ce métier. Je travaille à Nantes dans des bars discothèques, mais mon échappatoire, c’est les concours de cocktail. Je ne les fais pas avec une envie de gagner, mais vraiment avec une intention de rencontrer d’autres gens qui trouvent aussi que c’est intéressant de mélanger des trucs.

Je passe par le Kit Kat Bar, un bar à Mojito à Nantes, avec marqué « spécialiste du Mojito », en police Impact. Ici, j’ai la chance d’avoir beaucoup de liberté créative et je travaille avec une équipe où les gars sont fantastiques. Une machine de guerre, hyper beau gosse, super sympa, toujours de bonne humeur… Ce n’est pas moi. Nous avons aussi un mec hyper sérieux, très clean et incroyablement sympathique. C’est pas moi non plus.

Moi, je suis le petit gars créatif et nous faisons des choses rigolotes, des soirées etc pendant deux ans, puis je monte une société : Mother Shaker – bar événementiel. C’est mon premier pied dans l’entreprenariat et la première fois que je fais un truc qui me ressemble avec deux associés qui partent assez vite. C’est vraiment une expérience que je chéris, même si elle m’a coûté beaucoup. Le Covid est arrivé, et cette expérience s’arrête.

Un sentiment de déception ?

Un tout petit peu de cash, mais surtout, j’ai mis ma vie de côté en faisant de mon travail une priorité, et ce n’était vraiment pas la bonne manière de faire les choses. Je ne pouvais qu’aller dans le mur. J’ai perdu énormément parce qu’il y avait une personne qui était incroyable dans ma vie à ce moment-là et que j’ai complètement laissée de côté. Il y avait pas mal d’amis avec qui t’oublient de prendre contact… Finalement, tu n’es jamais là, ni pour ta famille, ni pour toi-même non plus.

Donc, après Mother Shaker, pendant le confinement, je rejoins une boîte qui s’appelle ICI Lundi, qui est un mélange d’un écosystème d’incubateurs, d’accélérateurs, et de startups. Pour eux, je commence à travailler dans l’innovation. C’était absolument passionnant. Cela n’avait rien à voir avec le monde du bar, mais on a monté un restaurant ensemble qui s’appelle Maison Bagarre. Une chouette ouverture à Nantes où l’on s’est vraiment beaucoup éclatés. Nous avons même monté un service de livraison de tartiflettes à domicile qui s’appelait le tire-fesse.

Mais, je bosse encore énormément comme un blaireau, donc ma meuf se barre. Et moi je vais en Haute-Savoie et je finis par  monter un établissement qui s’appelle Sacrebleu à Morzine, qui est mon bar à cocktails. J’ai eu la chance que Kyle me laisse son local en location gérance, ce qui m’a permis de pouvoir monter ma petite affaire.

Sacrebleu était un bar où l’on écoutait de la disco et de la funk assez fort. On boit des cocktails qui coûtent 8 balles et qui sont faits avec des produits de qualité servis en un temps record puisque tout est à la pression. Ce qui m’a amené à travailler aujourd’hui avec Yves COSENTINO pour le développement du cocktail à la pression et avec Charles, pour Requin, pour construire une société où on souhaite manufacturer des cocktails à la pression. Pour l’instant, c’est événementiel, mais on veut devenir une manufacture de boissons en fûts. Des gars comme Cocorico, par exemple, ont fait ce que je considère être un grand succès et une belle affaire.

Si Cocorico est le Brewdog du cocktail, c’est-à-dire des gens qui font des choses biens, moi j’aimerais bien devenir l’équivalent de l’Aerofab, une toute petite brasserie du côté de Nantes, qui fait un travail dingo. À chaque fois que tu goûtes un truc, c’est trop bon. Ça coûte cher, c’est dispo nulle part, mais c’est trop bon.

Et je crois que c’est ce qu’on aimerait faire avec Charles : des cocktails pointus, jolis, qui racontent des choses sympas et on peut envoyer ses fûts dans des bars qui ont envie de mettre des cocktails trop cool à la pression.

C’est notre projet qui est dans le pipe et en attendant, on loue des machines de tirage pression pour les mariages dans lesquels on met les cocktails. Le temps que l’on puisse construire ça.
Avec Yves, c’est un développement du cocktail à la pression, essentiellement pour des marques de spiritueux qui ont envie de mettre un pied dans le cocktail à la pression. Nous sommes là pour les guider.

Le monde du bar va très vite ces dernières années, il vaut mieux être autodidacte ou faut faire une école de bar ?

Je pense que ce n’est absolument pas obligatoire de passer par une école de bar. Il existe différentes catégories de bars différents. Si l’on a envie de faire de la discothèque, ou de la brasserie, je ne pense pas qu’un CQP te prépare à ça.

Mais je crois que ce n’est jamais bête d’apprendre des choses sur un sujet qui nous intéresse. Il y a vraiment beaucoup de centres de formation en France qui sont tenus par des passionnés. Je pense à Yoann à Rennes, à Maxime à Nantes, les gars d’Hypnotique à Montpellier, Thibaut à Paris… Des gens qui font ce métier de formateur parce qu’ils ont envie de transmettre leur passion ! Aller prendre des astuces auprès de ces gens-là, je pense que c’est utile, mais absolument pas obligatoire.

Il est nécessaire de rendre ce métier le plus simple possible pour que le plus de monde possible puisse se dire « ok, c’est rigolo ce métier, je vais essayer ». On doit accepter que c’est une phase de notre vie qui va durer un an, dix ans, cinquante ans et que les trois scénarios sont complètement acceptables.

As-tu eu des mentors dans ton parcours ?

Je pense qu’Yves est définitivement un mentor. Je pense que Maxime Favreau, mon premier formateur, est vraiment quelqu’un qui m’a inspiré également. Il avait un charisme assez fou. C’est un gars très humble, le genre de mec un peu énervant. Ce sont vraiment les deux qui m’ont le plus inspiré.
Charles, au quotidien, est quelqu’un qui m’inspire également énormément.

Si tu n’avais pas travaillé dans l’industrie du bar, tu aurais fait quel métier aujourd’hui ?

Si j’avais été bon, j’aurais été peintre en lettres. C’est vraiment un métier que je trouve fascinant. Quand je serai grand, j’aimerais bien faire ça !

Et si j’avais raté ma vie, je pense que j’aurais fait plutôt ce que je fais à l’heure actuelle, c’est-à-dire être un consultant, parce que c’est très chouette, mais pas autant que d’être peintre en lettres.

On peut dire que tu as eu différents métiers dans l’industrie. Lequel te fait le plus vibrer ?

Aujourd’hui, je suis vraiment très content de faire ce que je fais. C’est aujourd’hui le métier qui me convient le mieux. Vraiment, j’adorais rencontrer des clients, mais j’ai un peu passé cette étape.

Essayer d’accompagner des marques dans les challenges qu’ils rencontrent, ça utilise des muscles créatifs que je trouve passionnants. Ça demande un peu plus de rigueur, mais ce métier me donne aussi l’opportunité de rentrer souvent dans les distilleries, de discuter de la prod, de rencontrer les humains derrière, des humains qui bossent à un rythme qui est un peu plus lent et qui, moi, me convient beaucoup mieux.

Il y a un vrai sujet aussi avec beaucoup de barmen qui quittent l’industrie… Comment régler l’hémorragie ?

Tu sais quoi ? Je crois que j’accompagnerais plutôt dans le sens inverse, c’est-à-dire comment est-ce qu’on fait pour que ce métier ne devienne pas une souffrance ! Comment est-ce qu’on fait pour que les talents qui doivent prendre un autre chemin le trouvent plus facilement ? Je trouve que le turnover est très positif dans les entreprises, car il n’y a rien de pire qu’une personne qui reste alors qu’elle voudrait faire autre chose.

Le métier de barman est en train d’évoluer à une vitesse folle. Les restaurants sont encore ouverts, on ne trouve pas de staff ? Oui, mais quelque part, c’est tant mieux parce que les restaurants où ils font bon travailler trouvent du staff et reçoivent des CV sans problème.

Il faut que les gens qui n’ont plus envie de faire ce métier trouvent des passerelles. Ce métier de barman, barmaid, tous les métiers liés à l’industrie est fantastique parce qu’il permet de développer des vraies compétences : tu fais la com’ de ton établissement tes stocks, tu dois gérer les fournisseurs… En faisant barman, tu apprends de très bonnes bases et je pense qu’il faut les accompagner dans la sortie.

C’est donc fini l’époque d’un chef barman qui pouvait durer 20 ans, 30 ans au même endroit ?

Si les gens ont envie de ce type de parcours, c’est chouette pour eux car il y a encore des entreprises qui cherchent ce type de parcours. Mais globalement, nous sommes une industrie où les choses vont vite, où c’est chouette que ce soit un job étudiant, où c’est chouette que tu aies fait barman pendant deux ans.

C’est vraiment dans cet esprit-là que j’adore le cocktail à la pression : il permet vraiment à n’importe qui de démarrer et d’apprendre ce métier, et s’il le souhaite d’aller se passionner pour ce qu’il y a derrière. Mais si cette personne n’a pas envie d’apprendre, pas de problème, elle peut juste servir et c’est fini.

Pour toi, un bon bar c’est quoi ?

Pour moi, c’est un bar où je suis content foncièrement d’avoir vidé mes poches. Moi, j’ai besoin d’un endroit où je peux faire ma propre vie. J’aime bien un service où celui-ci n’interrompt pas mon expérience. J’aime quand on me propose des goûts qui sont plutôt simples et que je comprends.

J’adore, par exemple, Abstract en ce moment à Lyon, parce qu’on me propose d’y boire des choses qui sont très chouettes. Satan’s Whiskers, à Londres aussi car tu peux lire leur menu et comprendre tous les éléments. Donc, je peux emmener ma meuf, ma mère, mon pote, et ça va bien se passer. Des cocktails simples et des ambiances simples, sans trop de chichi.

Et ta meilleure expérience en tant que client dans un bar, c’était où ? Et pourquoi ?

Paradiso à Barcelone ! Nous avions vraiment pris une claque car l’accueil était dingue. Vraiment dingue. Les cocktails sont évidemment déments, les présentations sont folles, mais l’accueil et l’œil est toujours dirigé vers le client. Le supplément d’hospitalité, tout le temps, partout, alors que les types se font turbiner. J’ai pris une claque.

L’hospitalité justement, penses-tu que c’est quelque chose qui peut s’apprendre ? ou c’est quelque chose d’innée ?

Je pense que c’est grosso modo inné, mais qui peut se réveiller chez quelqu’un. Je ne pense pas qu’on peut avoir un process pour apprendre l’hospitalité à quelqu’un ! L’hospitalité, c’est un sentiment que tu dois ressentir, tu dois avoir envie de faire plaisir. Si tu n’as pas vraiment envie de faire plaisir, alors tu ne peux faire que du service.

Il y a une femme formidable qui s’appelle Anna Dolce, qui fait un TEDx là-dessus, qui s’appelle « Service isn’t hospitality », où justement, elle parle de comment est-ce qu’elle entraîne un peu les gens à l’hospitalité et de qu’est-ce que ça veut dire l’hospitalité versus le service.

Elle dit une phrase que j’adore, c’est  » Le service, c’est ce que tu fais pour le client. L’hospitalité, c’est ce que tu fais avec le client. »

Cela doit commencer par le management qui doit être en situation d’hospitalité avec l’équipe, être en empathie, être dans l’accompagnement, être dans le kiff avec ces gens-là. Cela permet de créer un état d’esprit dans lequel tu es obligé d’être hospitalier par la suite.

Si on dévie un peu sur les concours de bartenders. Tu as récemment remporté le concours Flavour Master. Quel est ton point de vue sur les concours ?

Je trouve que c’est chouette parce que ce sont des belles réunions qui sont ouvertes par les marques pour exprimer sa créativité. Celui de Mathieu Teisseire était vraiment agréable : il y avait un côté expérience où tu arrivais le matin, tu faisais une expérience dans ta journée.

Je recommande à tous les barmen de faire des concours parce que c’est un super endroit où l’on peut exprimer sa créativité, et ça ne doit servir qu’à ça. Les concours doivent être faits pour explorer la créativité et que c’est probablement plus quelque chose que tu fais à une étape de ta carrière où tu es en exploration, et si on a envie de se frotter à l’exercice créatif, il n’y a pas de raison pour ne pas les tenter.

L’industrie du bar a tendance à s’inspirer et à se rapprocher du milieu de la gastronomie. Tu vois cela positivement ?

C’est une super bonne chose. Moi, ça m’a plu quand j’étais tout jeune bartender, de pouvoir regarder des gens comme Savage ou De Soto en étant admiratif de ce que faisaient ces types là. C’est important d’avoir un métier dans lequel il y a la médiatisation autour de personnes qui sont très talentueuses.
Cela invite à rêver et donc de rendre ce métier plus sexy, ce qui permet aussi de recruter des talents.

Parlons maintenant de tes projets autour du cocktail à la pression. Pourquoi t’être intéressé au sujet ?

Ça a commencé assez tôt dans le parcours Mother Shaker parce que nous avions des apéros dans l’événementiel. Nous devions gérer des rushs lors des soirées d’entreprise : discours du fondateur, donc il n’y a pas un verre qui sort pendant 15 minutes. Puis d’un coup, tu as 150 personnes qui veulent juste boire un verre. Il leur faut une boisson maintenant ! Donc, le cocktail à la pression a été la solution pour répondre à la question : comment est-ce que je peux avoir un cocktail en 4 secondes pour ce genre de moment !

A l’époque nous avions fait une étude de marché. Nous avons conduit beaucoup d’interviews en demandant aux gens ce qu’ils en pensaient. Est-ce que ça te dérange que je te serve un cocktail à la pression ? Es-tu prêt à payer le même prix ? Vois-tu cela comme un produit qualitatif ?

Les réponses avaient été incroyablement violentes ! Tout le monde nous disaient « c’est de la merde, je ne paierai jamais le même prix pour que ça sorte d’une tireuse. Pour faire un cocktail, il faut un barman »… Ce genre de discours. À ce moment-là, je m’étais dit que c’était une bonne idée de ne pas me lancer là-dedans…

Mais en arrivant à Morzine Chez Roger, j’ai mis un cocktail dans un fût : un Lynchburg Lemonade. C’était très bon parce que j’avais respecté exactement la recette, et il n’y avait pas de place pour l’erreur, comme ça peut arriver lors des coups de rush. Les clients ont goûté et ont trouvé ça excellent. Ils revenaient au bar parce que je le servais en 8 secondes et que la valeur ajoutée pour eux, c’était ça.

Mis devant le fait accompli, les clients s’en moquaient complètement de savoir si c’était servi à la pression ou si c’était moi qui le faisais. L’important, c’était qu’ils puissent retourner à leur table avec leurs potes, passer leur moment ! Les clients viennent dans les bars pour passer un bon moment convivial, jamais pour voir une technique !

Même moi qui suis absolument passionné de bartending, de techniques, de produits, jamais je ne vais dans un bar pour voir un mec faire une technique. Ça n’intéresse personne !

En plus, quand j’ai monté Sacrebleu, je n’avais pas de cash. Donc il m’était impossible de recruter des gens très talentueux, leur payer un appartement etc. J’ai décidé de convertir la tireuse pour faire du tirage pression, avec l’Espresso Martini. Ainsi, je pouvais embaucher n’importe qui, mais cette personne allait pouvoir faire passer un moment de qualité et pas du tout s’occuper de la partie cocktail.

Quels sont aujourd’hui les points de friction pour rendre le cocktail pression populaire ?

Il faut que beaucoup plus de bars fassent vraiment bien leur devoir sur le sujet. Le cocktail à la pression, pour moi, c’est un moyen de garantir une meilleure qualité que si c’est fait à la main. Si on met le cocktail en pression, il faut vraiment qu’il soit meilleur qu’un cocktail fait minute.

Il y a énormément de gens qui font aujourd’hui des choses très bien (Blue Bird à Paris, le Gatsby à Angers etc). Je pense que les bartenders ne se rendent pas encore compte à quel point le cocktail à la pression est un outil créatif pour eux. C’est un outil qui leur permet de s’amuser et de repousser le champ des possibles en considérant vraiment les gaz comme des ingrédients et en utilisant ces gaz pour texturer leur boisson d’une manière qui est constante et intentionnelle.

Cela changera quand les bartenders vont se rendre compte que cette nouvelle technique leur permet de pousser plus loin leur champ des possibles.

Quand tu me parles justement des gaz et des textures, j’ai l’impression que tu as un discours plus scientifique sur ce sujet. Comment t’es-tu formé sur le sujet ?

Je ne vais pas te cacher que je suis un fraudeur, un chapardeur. J’ai appris en regardant une vidéo, en mettant un embout sur une bouteille de soda.

J’ai eu la chance de travailler avec Stéphane au Bubar, très brièvement. Il m’a appris énormément de choses sur l’enfûtage, la mise en bulle, comment est-ce qu’on faisait les choses de manière consciencieuse. Cela a été évidemment un vrai vecteur d’apprentissage.

Ensuite via l’expérience et évidemment Yves. Mais aussi beaucoup d’intelligence artificielle. ChatGPT est une ressource complètement folle où c’est bien de pas tout prendre pour argent comptant. Il faut tester, vérifier, recouper les informations. Mais l’intelligence artificielle a pour moi été vraiment une manière d’apprendre.

Si tu commences à te poser la question sur les conditions de dissolution du CO2 en solution, alors il y a assez peu de chance que tu arrives à trouver la réponse. Parce qu’en vrai c’est un peu barbare, ce sont des sujets lourds. C’est normal de ne pas savoir où chercher l’information.

ChatGPT me permet de poser les bases sur ce qui manque si je veux étudier le CO2, l’acidité des liquides, leur impact, si tu veux étudier ce genre de choses, je me sers de l’intelligence artificielle !

Nous avons une approche scientifique dans le sens où avec Yves, la manière dont on travaille quand on travaille autour des liquides, c’est de formuler une hypothèse, de la tester, d’observer les résultats, de reformuler une hypothèse et c’est juste là que la science s’arrête. Le but est d’arriver à un résultat qui tient la route surtout, qui est stable et safe.

Il y en a beaucoup qui me le disent aujourd’hui que mon approche est scientifique, mais je ne soigne pas les enfants malades, et je ne fais rien qui bénéficie à l’humanité.

Cocktail à la pression

Je ne pensais pas du tout que ChatGpt allait arriver à ce moment-là de notre conversation…

Sur la construction de mon cocktail avec Mathieu Teisseire, par exemple, j’ai une idée créative d’association de saveurs où je savais que ça allait marcher. Mais pour mon storytelling, c’était cool de pouvoir m’appuyer sur un peu de science et de pouvoir m’appuyer sur les composés aromatiques qui sont dans le fenouil et la pastèque et pourquoi est-ce qu’ils vont ensemble. Donc oui, c’est un super outil créatif, l’intelligence artificielle.

Par rapport au cocktail pression, tu penses que le champ des possibles est encore énorme ?

J’aimerais bien faire des choses à l’hélium parce que je pense que ce serait très rigolo, et qu’on passerait d’excellentes soirées ! Nous sommes vraiment au début du marché du cocktail à la pression. Mais par contre techniquement, nous en tout cas, nous savons déjà aujourd’hui là où on veut aller. On sait faire par exemple un Ramos Gin Fizz à la pression, donc on sait que c’est possible.

Nous aimons bien dire avec Yves « if you can think it, we can tap it« . Et vraiment, ce n’est pas que nous sommes des absolus génies, c’est juste que ce n’est pas si compliqué que ça.

En ce moment, il y a énormément d’innovations technologiques autour du fût. Il y a des mecs qui inventent du fût avec des mixeurs intégrés. Il y a Micromatic qui a inventé une espèce d’aimant qui tourne en permanence dans ton fût. Mais tout cela ne sert à rien ! Avec le matos que nous avons, c’est-à-dire la bonbonne de CO2 que tu as déjà au bar, un bec de Guinness que tu as recyclé d’une tireuse et un fût que tu achètes à 50 balles sur Aliexpress, ça suffit largement. Avec ça, tu peux faire déjà beaucoup de choses.

Depuis quelques années, les robots cocktails apparaissent également…

Je souhaite sincèrement boire un jour un cocktail délicieux qui sorte d’une machine de ce genre, mais je trouve qu’il n’y a rien de plus anticlimatique que ce genre de machine.

On met du sucre dans des tuyaux qui n’est pas utilisé en permanence, donc ce sucre cristallise, les dosages sont foirés, et donc ça ne marche pas.

Généralement, ces robots sont dans les mains de gens pour remplacer la compétence. Mais le problème, c’est que si les gens n’ont déjà pas la compétence pour faire un Cosmopolitan, à quel moment on a cru qu’ils allaient avoir la compétence d’entretenir une machine à 10 000 euros ? Ce n’est juste pas possible, et ça n’arrivera pas. Mais si quelqu’un a envie de me faire changer d’avis, je suis toujours partant.

Des barmen encore réfractaires au cocktail pression, tu leur ferais tester quoi pour changer d’avis ?

Le Whiskey Sour que nous avons conçu avec Monkey Shoulder. Ce fut vraiment un super outil pour faire changer les gens d’avis. Nous avions une texture hyper crémeuse, tout aussi satisfaisante que le blanc d’oeuf avec une aromatique qui était précise.
Ce n’est pas très difficile de convaincre les gens qu’on puisse faire un Negroni à la pression. Mettre des bulles à la pression, et sortir un Spritz, c’est pareil, ça n’impressionne personne, même si moi je le trouve un peu supérieur à un Spritz réalisé à la bouteille.

Par contre, des boissons émulsionnées, donc un Espresso Martini complètement crémeux qui coule en 4 secondes et qui est absolument délicieux. Un Whisky Sour très généreusement émulsionné… Ça pour moi, ce sont des choses qui font changer d’avis.

Est-ce que certains spiritueux marchent moins bien que d’autres dans les cocktails à la pression ?

Je crois vraiment qu’il y a de la place pour tout le monde : depuis le cidre, jusqu’aux eaux de vie de qualité. La réaction entre les gaz et les différents spiritueux est assez rigolote, notamment le CO2 fait vraiment péter les aromatiques de bois.

C’est intéressant de savoir que, quand tu vas gazer une boisson entière, peut-être que ton cognac, ton armagnac ou ton rhum élevé sous bois, tu vas vouloir le descendre un tout petit peu parce que le côté boisé va vraiment venir. Il y a un rééquilibrage à faire sur certaines boissons.

Certains pensent que les cocktails à la pression vont tuer le métier de barman. En t’entendant parler, ça donne plutôt le sentiment inverse en concentrant plus de temps sur la créativité et l’hospitalité…

Exactement. Aujourd’hui, tu parles à un barman de 30 ans qui a la flemme et qui est très content de passer sa journée au laboratoire à faire des choses précises, jolies, parce que la partie popotte m’excite énormément, de libérer du temps, et de me dire que mon service sera beaucoup plus simple.

Si tu vas au Honey moon à Paris, ils ont 32 cocktails à la pression. Les mecs ont donc vraiment le temps d’être très cool avec toi. Dans mon bistro, j’avais mis l’espresso martini à la pression parce que les gros soirs, nous pouvions en sortir 120 ! Ce n’est marrant pour personne.

Si tu devais dire un point négatif sur les cocktails à la pression, ce serait quoi ?

Que c’est trop bien et que tu en vends trop. Du coup, c’est chiant (rires).

En vrai, il y a une courbe d’apprentissage. C’est rarement un truc que l’on te le met entre les mains et d’un coup, tu trouves la formule magique avec. Et surtout, par définition, tu ne peux pas faire d’erreurs car tu ne peux pas changer ta boisson une fois qu’elle est mise dans le fût.

Une personne qui connaît son drink et qui te dit « Je voudrais un whisky Sour avec cette référence de whisky », là aussi t’es bloqué car par définition, le produit est figé. Mais c’est vraiment parce que tu m’as forcé à trouver un point négatif !

Aujourd’hui, tu es basé à Londres. Est-ce que tu peux nous parler un peu des différences entre l’industrie française et anglaise ?

Je suis vraiment bien en Angleterre. L’industrie française est très créative. Elle est un peu à l’image de la parisienne. Elle fume des clopes, elle se réveille avec la gueule de bois, elle mange du Roquefort avec son café et il y a un côté créatif, arty, très cool.

En Angleterre, je trouve un métier qui est très professionnel. On parle de bartender junior et senior. Les gens ici répondent aux mails et ils nous renvoient les screenshots de leur Excel pour nous demander si les recettes sont cohérentes, ce qui est moins un truc que je vois en France.

Le bar français, pour moi, c’est vraiment créatif. On fait des choses dingues et on repousse le champ des possibles. En Angleterre, on est très professionnel. On travaille, on twiste des classiques. Au vu de ma petite fenêtre, c’est ce que j’ai l’impression de voir.

Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour l’année à venir ?

Plus de projets intéressants. J’ai la chance de faire un métier aujourd’hui, que ce soit avec Requin ou avec Yves, où nous avons beaucoup de demandes et où l’on travaille autour d’une trend qui grandit. Je n’ai pas trop de doutes sur le fait qu’on va avoir encore plus de travail là-dessus.

Un mot de la fin ?

La pastèque fonctionne incroyablement bien avec le pastis : sirop de pastèque, pastis, eau, incroyable.
Ou en Espresso martini, remplacez votre sirop de sucre par du sirop de pastèque. Fantastique.
Ou en Paloma, juste une touche..

Il faut absolument parler des pastèques. La pastèque se mélange vachement bien, et il faut protéger son habitat.
Beaucoup de gens confondent les pastèques et le hummus. C’est une erreur qui peut être dangereuse et il est vraiment important de s’informer.

Parlons des pastèques, Libérons les pastèques, N’oublions pas les pastèques !

Author

Fondateur de ForGeorges - plus de 1 000 bars testés à travers le monde - prend autant de plaisir à tester un nouveau bar, que déguster un spiritueux ou un verre de vin en bonne compagnie ! Spécialiste de la loi Évin et dénicheur de bonnes idées et innovations pour les marques d'alcool ! Son cocktail préféré ? Tous à partir du moment où ils font passer un bon moment (mais ne crache jamais sur un old fashioned bien réalisé ! ). Auteur des livres : Le Whisky C'est pas Sorcier, Le Rhum c'est pas sorcier et Les Cocktails c'est pas Sorcier, aux éditions Marabout et traduits en plusieurs langues (Anglais, chinois, japonais, russe, italien, néerlandais...) Auteur des livres : Le Whisky C'est pas Sorcier, Le Rhum c'est pas sorcier et Les Cocktails c'est pas Sorcier, aux éditions Marabout et traduits en plusieurs langues (Anglais, chinois, japonais, russe, italien, néerlandais...)

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