Quel est ton parcours avant le bar ?
J’étais étudiant en communication journalisme, où j’ai effectué des stages non fructueux. J’ai opté pour un retour à la réalité sur le terrain en travaillant comme serveur puis barman, en apprenant de bar en bar. J’ai commencé dans un bowling à Lyon en tant que serveur à servir des plateaux de Corona, ou encore des Margaritas au Pulco dans des tumblers.
Ensuite, il y a eu la période flair. Je suis rentré dans le monde du bar à travers le flair, époque ABF, car la mixologie, comme on l’entend aujourd’hui, n’existait tout simplement pas. Mais c’était le style de l’époque.
J’ai fait pas mal de compétitions de Flair. J’étais assez bien classé jusqu’en 2005. Puis, j’ai complètement arrêté, car ce fut la révélation quand j’ai découvert la scène cocktail londonienne, et les établissements fameux de l’époque qui n’existent plus aujourd’hui comme le Lab (aujourd’hui remplacé par le Swift).
C’était les premiers cocktails et les balbutiements de la nouvelle ère de la scène cocktail de l’époque : vodka aromatisée à la vanille, citron, et plein de choses comme ça qui étaient super cool pour l’époque.
Il n’y a pas une époque qui est meilleure qu’une autre. Il y a juste une technique ou une « branlette » qui arrive à chaque époque. Mais dans 10 ans, on se foutra bien de la gueule de ceux qui font des cocktails clarifiés. Maintenant, on se moque de ceux qui font des cocktails avec des garnishs dans tous les sens ; mais avant c’était le top de la hype. Il faut savoir où on est et avec qui on travaille. Plus le temps passe, plus on se rend compte de la vaste supercherie de tout cela.
Et après Londres ?
Avec ce que j’ai vu, et l’envie de travailler différemment, nous avons ouvert le Soda Bar avec Arnaud Grosset, qui est à 100 mètres de l’Antiquaire. Il est toujours ouvert et il cartonne depuis 2008. Nous avons eu deux années difficiles, et après c’était parti. On était un peu en avance sur notre temps pour Lyon.
Après 2010, j’ai commencé à bouger pas mal aux États-Unis où j’étais admiratif de cette scène des néo-speakeasies, avec cette vague du Milk and Honey. Expérimental, très tamisé, très jazz, serveur en gilet, dans cet esprit rétro américain des années 50- 60. D’ailleurs, le mot Speakeasy n’est pas vraiment celui qui convient. Ok, c’était un peu caché, mais c’était car on n’a pas de tune et on ouvre dans des coins pourris loin des emplacements mainstream. Si c’était à refaire, personne ne le referait. Mais c’est ce qui a permis à pas mal de barmen de s’installer à leur compte en rachetant des locaux qui ne valaient rien et en créant une déco avec trois francs six sous.
En 2010, naissance de l’Antiquaire. Bientôt 10 ans. Au début, il n’y avait que l’étage du rez-de-chaussée. L’Antiquaire d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec l’Antiquaire de 2010. Tout a été refait petit à petit. Les banquettes, la façade, les frigos, le bar. Vraiment tout.
Quelle est l’inspiration derrière l’Antiquaire ?
Mad Men ! Les années 50 – 60 et cette étiquette -, mais qui nous a bien servi, car ça donnait du contenu aux journalistes – de Speak Easy, car c’est compréhensible par tout le monde. Nous avons essentiellement des cocktails du premier âge d’or des cocktails. 1880 – 1919, nous n’avons rien à voir avec un vrai speakeasy.
Toujours aujourd’hui ?
Oui et non. Car au niveau de la musique, c’est toujours du jazz du blues, c’est de la musique qui colle aux murs comme je dis. Un peu de soul, mais on essaie de ne pas dépasser les années 70 et de ne pas descendre avant les années 50. Ce spectre musical, associé à nos uniformes, te transporte dans une atmosphère des années 50 – 60.
Au niveau des drinks, non. On a quelques old school drinks, pré-prohibition (mint julep etc), mais beaucoup de cocktails signatures avec des techniques d’aujourd’hui, dont le milk punch. Nous avons un savoir-faire qui se trouve dans la tendance. Pas forcément dans les goûts, car le barman illuminé qui a une vision ultime pour trouver une cacahuète bizarre et qui va vouloir absolument la mettre dans son cocktail, ce n’est pas ma façon de travailler. Je reste sur des choses commerciales, qui plaisent aux gens. Juste, c’est bon ou ce n’est pas bon. Ça leur plaît ou ça ne leur plaît pas. Il faut que 99% des gens qui goûtent nos cocktails trouvent ça bon, au bon rapport qualité – prix. Nous avons des cocktails qui commencent à 9 euros à l’Antiquaire.
Tu renouvelles régulièrement la carte ?
Nous essayons de la changer 2 fois par an. Mais c’est plus une fois par an. Cependant, nous testons des cocktails toute l’année avec le cocktail du mois. Cela nous permet d’éprouver ce que nous faisons en recherche. Si ça plaît, ça devient un cocktail qui reste sur la carte. Et s’il fait partie des best-sellers de l’année, il rentre dans les signatures de l’Antiquaire.
Nous avons des cocktails qui ont évolué depuis 2014. C’était des longs drinks, qui sont devenus des shorts drinks. Ils étaient faits minute, maintenant ils sont batchés. L’ADN du cocktail reste le même. Mais il a évolué dans tout le reste.
As-tu des cocktails qui sont là depuis le début ?
Le Old Fashioned qui est à la carte depuis l’ouverture, car nous avons ouvert en même temps que la série Mad Men. C’était un clin d’oeil évident et nous pouvons dire franchement que l’Antiquaire est le bar qui a lancé le Old Fashioned sur Lyon. Maintenant, tu vois des old fashioned à la carte dans toute la ville. Il est sur toutes nos cartes d’hiver et l’été on le remplace par quelque chose de moins puissant, mais toujours sur une base Bourbon.
Le Old Fashioned de l’Antiquaire c’est un classique : bloc de glace, bourbon, sucre, Angostura, zeste d’orange, cerise. Mais très peu de dilution. C’est le Old Fashioned de l’Antiquaire. Nous avons des clients qui viennent et qui nous disent qu’ils ne boivent un old fashioned qu’ici. Nous avons apparemment un truc en plus.
Mais j’ai l’impression qu’on est sur une phase descendante du cocktail .
Sur Lyon, ou en général ?
Cela fait longtemps que je n’ai pas étudié précisément Paris, mais sur Lyon oui. Le pic culture cocktail bar est derrière nous. Il y a des bars à cocktails. Mais de moins en moins.
Ça vient de quoi ?
Il y a un changement générationnel. Il y a une prédominance des bars à bières qui eux aussi sont arrivés à un pic. Peut-être qu’il y aura un retour au cocktail, mais sur une ville comme Lyon on s’en rend compte facilement. Peut-être qu’à Paris, c’est plus noyé dans la masse. Mais le format Bar à cocktails qui fait 95% de son Chiffre d’Affaire avec des cocktails, je serais curieux de voir combien d’établissements ouvriront en 2020 sous ce format-là !
Quelle est ta clientèle à l’Antiquaire ?
C’est ultra large. On ne peut pas se targuer d’avoir un type de clientèle générationnel ou communautaire. L’Antiquaire, c’est de 18 à 78 ans. C’est le bar où les gens viennent avec leur poussette, leurs parents, leurs grands-parents. Les étudiants et les businessmen. C’est un bar dans sa définition la plus humble, qui n’est pas festif : on ne vient pas se montrer, on ne vient pas danser, on ne vient pas draguer. Mais on vient discuter, créer du tissu social pour de vrai.
La culture cocktail est présente à Lyon ?
Les barmen lyonnais ont toujours fait des cocktails, des concours. Lyon a toujours été une ville de cocktails même avant 2006 via l’ABF. Peu ont gagné des gros titres qui ont mis le projecteur sur eux, et peu ont eu une carrière qui a duré, ou qui tend à durer.
Car souvent les barmen qui font quelques coups de projecteurs ne sont pas forcement à leur compte. Deux ans après, on en entend plus parler. Ils partent à Londres, à Paris. Mais rien qui s’inscrit dans le temps. Certains vont en profiter pour monter un établissement et le revendre 2 ans après… J’arrive à durer, car je forme des gens. Il y a une transmission, je renforce mes équipes, je fais des ouvertures et je garde ma base. À partir de là, je suis facilement traçable et identifiable sur la scène lyonnaise.
D’avoir remporté la Bacardi Legacy, ça t’a apporté quoi ?
C’est énorme l’apport de la Bacardi Legacy ! En termes de coup de projecteur, d’expérience humaine, et de tout ce que ça enrichit grâce aux voyages. Sur une année, c’est quinze voyages à travers le monde. Ce sont des portes qui s’ouvrent, des rencontres. Si tu es curieux, tu vois des nouvelles façons de travailler.
Il y a un avant et un après Bacardi Legacy en terme de confiance en soi. Ça te fait faire un saut. Le fait de gagner, c’est éphémère. Mais tout ce que tu en tires, c’est énorme et inestimable.
Ta créativité, tu la puises où ?
Partout. Chez les autres aussi, je n’ai pas honte de le dire. Je prends ce qu’il y a de meilleur. Ça reste subjectif, mais c’est par rapport à ma perception de ce qui est bon et l’intérêt que ça va avoir sur ma clientèle.
Je ne vais pas dire que je m’inspire des chefs, de mes balades dans les Alpes ! Ça, c’est des conneries. Je reste très basique. Mais encore une fois, il y a plein de barmen qui ne sont pas à leur compte. Qui sont juste là pour essayer d’avoir une offre différenciante. Ça ne veut pas dire que c’est bon, mais c’est original, car jamais vu. Mais ce n’est pas forcément quelque chose qui est commercialement efficace et qui peut être pérenne. C’est juste un renouveau sans cesse. Moi, j’essaie de faire des choses qui plaisent aux gens avec des saveurs qui sont relativement communes, mais modifiées pour être originales. Les gens, ils aiment quoi ? La fraise, la pêche, la banane. Regarde le top 10 des fruits les plus vendus en France et tu verras ce qui marche vraiment. On ne parle pas de Pandan, même si j’aime le Pandan et ce que fait Nico. Ce n’est pas une critique contre Nico, mais contre d’autres gars.
J’essaie de structurer ma carte pour que tout le monde s’y retrouve. Qu’est-ce qu’un cocktail à part un parfum qui plaît à des gens avec de l’alcool ! C’est tout.
Au niveau de la carte, tu t’imposes des thèmes ?
Non, pas du tout. Nous avons nos signatures, nous avons nos best-sellers. Nous essayons d’amener 2-3 cocktails nouveaux. Ça ne sert à rien d’avoir 18 cocktails nouveaux. Nous structurons la carte avec des spiritueux pour tout le monde (vodka, rhum, gin, whisky, tequila , mezcal). Après, si ce n’est pas sur la carte, nous savons faire aussi. On ne va pas mettre à la carte un mezcal Negroni alors qu’on fait des Negronis, et qu’ils voient qu’on a du mezcal, donc on peut faire un mezcal negroni !
Ton cocktail signature, ça serait lequel ?
J’aime bien dire que c’est le Marco’s Bacardi Fizz. Car c’est mon cocktail Legacy. Il y a de la chartreuse. C’est le cocktail qui me colle une étiquette, et on en joue. C’est important d’avoir des repères forts pour faire vivre une expérience forte. Venir boire un Marco’s à l’Antiquaire, c’est une expérience originale.
Mais personnellement, mon cocktail signature c’est plus le Old fashioned, car c’est un type de structure de drink qui me correspond. C’est également associé au noyau dur d’habitués de l’Antiquaire. La maison du Old Fashioned. Nous ne le faisons pas qu’au bourbon, mais aussi au cognac ou au rhum brun. Le Old Fashioned ,c’est juste un style de drink pour déguster des alcools vieillis bruns et les faire ressortir.
Quelles sont les grandes tendances à venir dans le monde du bar ?
Le déclin du Rotovap ! (rires). Je ne suis pas visionnaire pour dire ce qui sera In ou out dans les prochaines années. Il faut demander ça aux grands groupes, et leurs équipes de marketeurs. Qu’est ce qu’ils auront envie de nous vendre après la Suze, les amers, les liqueurs fleurales. Le retour du Pissong et de la Banane peut-être ?
Peux-tu nous parler de l’Officine !
Je suis associé au sein de l’Officine, qui n’est pas un bar indépendant, mais une partie intégrante du Grand Réfectoire, une brasserie de 200 couverts en face de l’Intercontinentale. C’est le bar à l’étage qui donne sur le Grand Dôme. Ils sont venus me chercher pour m’occuper du bar. J’ai mis une équipe en place. Ce n’est pas un bar qui se veut bar à cocktails, mais c’est un bar qui se veut avec un savoir-faire évident sur le cocktail. Mais où l’on vend beaucoup de champagne, de la bière, on organise des événements. Avec un positionnement haut de gamme. J’ai beaucoup contribué au lancement, mais ma présence physique est beaucoup plus importante à l’Antiquaire, qui est mon bébé. D’ailleurs ce soir, je suis là, derrière le bar avec un groupe de 12 personnes qui va bientôt arriver.
Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour l’année à venir ?
Que les projets qui sont dans les tuyaux marchent au-delà de mes espérances. De nouveaux projets, de nouvelles personnes, mais on n’en dira pas plus, ça restera un secret pour l’instant.