Il a représenté avec brio le Benelux lors de la finale monde de la Bacardi Legacy 2019 à Amsterdam. L’occasion de rencontrer ce français exilé au Luxembourg, et de voir ce qui se passe là-bas. Entretien mené par téléphone après une courte nuit de sommeil pour Pierre Munier.

Quel est ton parcours avant le bar ?

J’ai fait une formation hôtelière : un BEP en cuisine, un bac pro en salle, une alternance dans des étoilés au guide Michelin. Puis j’ai eu la chance de finir major de promotion. Mais il ne me donnait la bourse que si je partais dans un pays européen. J’ai choisi de partir en Angleterre, à Londres. C’est là que j’ai découvert le milieu du cocktail et que j’en suis tombé amoureux.

À Londres, je travaillais au Sloane Square Hotel, derrière Harrod’s. Il y a avait dans l’établissement un bar à cocktail où travaillait un Géorgien très côté il y a 10 ans dans le milieu du cocktail. J’ai appris à ses côtés.C’est là que je me suis dit que je voulais faire ça de ma vie. Il m’a donné le virus.

Comment s’est passé le bond de la restauration au bar ?

J’ai continué au Sloane Square Hotel , puis au Blue Bird toujours à Londres. Ensuite, pour des raisons familiales je suis rentré en France, à Nancy.  J’ai travaillé pendant 5 ans place Stanislas au bar Le 5. C’est là que j’ai commencé les compétitions. Ensuite, une escale à Strasbourg pour faire l’ouverture de l’Eden Place. C’était un gros projet à plusieurs millions d’euros avec la brasserie, la pizzeria et le bar caché en mode speakeasy. Je suis resté 8 mois et je suis parti au Luxembourg travailler avec Kevin Wafflart du Vagabond Bar, élu 3 fois meilleur bar au Luxembourg pendant 1an1/2. Maintenant, je suis au Nasty Bar depuis 9 mois.

Parle-nous de la scène du bar luxembourgeoise !

Elle est en plein essor. Et ça va se confirmer prochainement d’après ce que j’ai entendu dire. On est un tout petit pays, et rattaché à la Belgique. Ce n’est pas forcement un avantage pour nous, car avant c’était la Belgique qui avait la lumière et on n’entendait pas parler du Luxembourg.

Il y a combien de bars avec un bon niveau au Luxembourg ?

Le Nasty bar forcément ! Le Panam commence à se développer avec un petit barman pas mauvais qui vient de débarquer de Palma de Majorque.  L’Urban aussi, mais le barman vient de partir à Amsterdam, c’est dommage. Et le Taylor Concept qui, d’après ce qu’on a entendu dire, devrait faire un 50BestBars cette année. C’est de la bombe atomique. Celui qui a ouvert ça s’appelle George Sahinides. Il était le second du bar Oriole à Londres, et il est balaise.

Tu continues à suivre la scène française ?

 Je la suis de plus en plus… Car il y a des projets en cours dans un coin de ma tête.

Qu’est-ce qui t’a motivé à faire la Bacardi Legacy ?

C’est une grande histoire d’amour entre cette compétition et moi. J’étais finaliste France il y a 2 ans. Je n’ai vraiment pas eu de chance… Enfin, je n’ai pas fait attention, car j’ai cassé mon verre pendant l’épreuve. Le verre s’est littéralement pété en deux au niveau du pied. Tu sais comment ça se passe dans une finale comme ça : « Merci au revoir. » Je voulais la refaire l’année suivante, mais vue que j’étais au Luxembourg, je n’ai pas pu m’inscrire en France, et les inscriptions au Benelux étaient clôturées. Donc, je me suis préparé dans l’optique de la refaire l’année suivante. J’étais bien plus préparé que mes adversaires.

Comment tu décrirais ton expérience à la finale monde de la Bacardi Legacy ?

Incroyable ! Tu es barman, tu as beau avoir n’importe quel niveau dans le bar, quand tu vas faire des compétitions, c’est là où tu apprendras le plus, car c’est là que tu vois la vision des choses des autres pays et des autres bartenders. C’est ce qui te permet de te construire et d’évoluer. Le niveau est chaud patate. Donc, tu te retrouves en face de mecs qui sont propriétaires de leur établissement, qui font des tops 50Bestbars. Ils sont hyper pros, c’est un autre niveau encore que les gens que tu as l’habitude de côtoyer. C’est chirurgical ce qu’ils sortent. À côté d’eux, t’es obligé d’élever ton niveau. En une semaine, j’ai vécu un truc extraordinaire. J’ai fait de très belles rencontres. Des mentalités incroyables, des façons de travailler différentes de la mienne. Et l’après Bacardi Legacy est encore différent, car tu n’es plus sur terre. Ce qui t’arrive est dingue.

Si c’était à refaire, tu vois les points d’amélioration ?

J’espère. Je vais la refaire, pas cette année, car je ne peux pas en tant que gagnant. Et j’aimerais la refaire en France.

Comment choisis-tu les concours auxquels tu participes ?

                                                                 
J’ai fait 4e aux championnats du monde IBA, il y a 2 ans. J’ai fait 2 fois finalistes Beefeater mix, 2 fois Nikka Perfect Serve en finale. J’ai fait Bartender society où je me suis croûté complètement. Ça arrive (rires). À cette époque-là, je faisais beaucoup de concours à la fois. Et j’ai eu la chance de rencontrer Marc Bonneton, qui m’a dit que je devrais me concentrer sur certaines compétitions quitte à n’en faire qu’une ou deux par an. Et rester focus pour les travailler à fond. Et il avait raison. Quand tu as des mecs comme ça qui te donnent des clés, il faut vraiment les prendre et les appliquer.

Que recherches-tu dans les concours ?

C’est surtout l’expérience et de rencontrer des autres barmen. Et apprendre. Si je refais d’autres compétitions, ça sera vraiment dans le but d’avoir de la visibilité et d’aller le plus loin possible.

Ton inspiration, tu la pioches où ?

J’ai toujours été passionné de cuisine. Toute ma vie, mon plus grand rêve c’était d’ouvrir mon restaurant et d’avoir 3 étoiles au Guide Michelin.

Malheureusement, j’avais un très sale caractère. Heureusement, aujourd’hui ça va mieux, mais je ne m’entendais pas du tout avec les chefs. À Londres, j‘ai vu que ce que je savais faire en cuisine, je pouvais le faire en liquide. Pouvoir transformer la gastronomie en gastronomie liquide, c’est ça qui me plaît beaucoup. Pouvoir vivre des expériences au client, c’est quand même incroyable.  Quand tu vois le sourire de la personne qui déguste ton cocktail, c’est ça que je recherche.

Il y a pas mal d’établissements qui misent tout sur un effet whaou et le service qui laisse à désirer ?

Les établissements qui ouvrent et qui font des trucs de fou, c’est vraiment bien.  Maintenant, il y a trop d’établissements qui misent que sur l’effet whaou, sans service, qui font un 50 Bestbars. Je prends l’exemple de Tony Conigliaro du Bar With No Name. J’habitais juste à côté à Londres. Il a ouvert Termini il y a 5 ans. Il a fait 7 ou 8e l’an dernier aux World Best Bars, ils ont 5 Negronis différents. Et bien franchement, je n’ai jamais bu un Negroni aussi dégueulasse de ma vie. Tony est un mec que j’adore, j’ai des potes qui travaillent là-bas, mais quand on me dit « tu vas boire le meilleur Negroni de ta vie », et bien va à Marseille au Carry Nation et demande-lui de te faire goûter un Barrel Aged Negroni.

Les classements c’est une bonne chose ou ça devient n’importe quoi ?

C’est bien d’en faire un, comme en cuisine.  Mais je pense qu’en ce moment, il y a beaucoup de copinage. Et c’est vraiment dommage. Il y a des mecs qui méritent leur place. Mais il y a un ventre mou entre la 10e et la 20e place. Ce sont des mecs qui ont fait de belles choses, on ne sait pas trop où les mettre, ils ont besoin de visibilité. Donc on les met là pour faire marcher leur bar. Mais je suis désolé, il y a des mecs qui travaillent comme des fous, qui ont leur place. Je pense au Blue Bar à Londres, j’ai bu cette année un de mes meilleurs cocktails.

Quels sont tes critères pour dire qu’un bar à cocktails est un bon bar à cocktails ?

Alors c’est ma vision des choses. Je ne me permettrais pas de donner des conseils. C’est être accueilli correctement. Que tu as un service assez dingue. Tu vois Noma, on t’apporte ta bouteille d’eau, ils viennent te resservir, voir si tout va bien 3 ou 4 fois. Est-ce que vous voulez des glaçons ? Votre paille vous la préférez comment ? En bois, en métal etc. Ça, c’est du service !

Quelqu’un qui veut se lancer en barman, c’est quoi les qualités requises ?

Il faut de la passion. Le problème aujourd’hui, les jeunes barmen veulent tout de suite travailler du lundi au vendredi, de 18h à minuit maximum, avoir leur week-end. Ça ne marche pas comme ça. Et tout de suite gagner 2500 euros…

Quand j’ai commencé, on se prenait des coups de pied au cul, on bossait comme des fous. Je me disais que c’était des cons, mais à l’heure d’aujourd’hui, ça a été ma meilleure formation.

Il faut être passionné, avoir conscience que c’est un travail extraordinaire, humainement c’est dingue et tu peux voyager partout dans le monde, et que c’est un métier où tu travailleras tout le temps ! Tu ne peux pas te retrouver au chômage tellement il y a du travail partout.

Qu’est ce qu’on peut te souhaiter pour 2019-2020 ?

De redonner ses étoiles au bar. On n’a pas besoin d’être à Paris pour avoir un grand bar. Qu’un mec de 18 ans doit être servi comme un mec de 40. Que quelqu’un qui a économisé 10 euros pour se payer un verre soit servi comme un mec qui va sortir une black American Express. Et faire plaisir à tout le monde qui passera par mon établissement.

Author

Fondateur de ForGeorges - plus de 1 000 bars testés à travers le monde - prend autant de plaisir à tester un nouveau bar, que déguster un spiritueux ou un verre de vin en bonne compagnie ! Spécialiste de la loi Évin et dénicheur de bonnes idées et innovations pour les marques d'alcool ! Son cocktail préféré ? Tous à partir du moment où ils font passer un bon moment (mais ne crache jamais sur un old fashioned bien réalisé ! ). Auteur des livres : Le Whisky C'est pas Sorcier, Le Rhum c'est pas sorcier et Les Cocktails c'est pas Sorcier, aux éditions Marabout et traduits en plusieurs langues (Anglais, chinois, japonais, russe, italien, néerlandais...) Auteur des livres : Le Whisky C'est pas Sorcier, Le Rhum c'est pas sorcier et Les Cocktails c'est pas Sorcier, aux éditions Marabout et traduits en plusieurs langues (Anglais, chinois, japonais, russe, italien, néerlandais...)

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