On peut le croiser dans sa région, sur les salons de spiritueux ou dans les distilleries du monde entier, ou encore à animer des masterclasses sur Internet. Insatiable touche-à-tout du monde des spiritueux, on a profité du confinement pour pouvoir mettre la main sur Guillaume Ferroni et lui poser toutes les questions que l’on avait ! Et en bonus, il nous a même annoncé les prochains spiritueux qui viendront compléter sa collection très prochainement. Accrochez-vous! 

Comment tu décrirais-tu étant enfant ?

J’étais discret. Tantôt cancre, tantôt premier de la classe, jamais entre les deux.

J’ai grandi, jusqu’à 14ans près de Marseille, à Aubagne. Après, j’ai passé mon adolescence au Maroc  de 14 à 19 ans.

J’ai eu le bac à coup de pied au cul (rires). J’étais un gros glandos. Suite au BAC, j’ai fait une année de musique, une année semi-sabbatique. Ensuite, j’ai entamé des études classiques, commerce, comptabilité. J’ai fait deux BTS suivis par un DESS en cours du soir pendant que je travaillais.

Tu as commencé dans quel secteur ?

J’ai toujours été entrepreneur. J’ai entrepris dans plusieurs voies différentes. J’ai fait dans la formation, une agence web, camping aussi. Pleins de choses, et je me suis dirigé vers le bar dans les années 2000. J’ai repris un établissement dans lequel il y avait un bar dans un grand complexe de loisir. Au début des années 2000, c’était le frémissement du renouveau du bar. J’ai suivi cette voie-là et je ne l’ai jamais quitté depuis.

D’où t’es venu la passion pour les spiritueux ?

Je ne sais pas. Ça m’est arrivé naturellement, comme beaucoup de barmen, je suppose. J’étais tombé en amour pour le métier du bar, alors que je voulais m’orienter dans la cuisine. Les années 2000, c’était le retour des cocktails anciens. Je collectionnais de vieux bouquins où il y avait des recettes de vieux spiritueux. Je me suis spécialisé dans les cocktails du 18e siècle.  J’ai commencé avec le rhum parce que c’était un historique qu’on avait à Marseille. Puis, j’ai fait la série des lumières, la réédition de ce que j’avais dans mes ouvrages. J’avais la chance d’avoir une expérience dans l’entrepreneuriat, ce qui m’a aidé à me lancer plus facilement. Mais chaque jour qui passe, je continue de trouver ce milieu de plus en plus intéressant !

Tu te souviens de ta première dégustation de spiritueux ?

Ça devait être du rhum blanc, ou de la tequila. À la base, je suis grand amateur de rhum blanc agricole. La tequila, ça correspondait au choc qualitatif qui arrivait avec le nouveau bar. Dans les années 2000, on a vu arriver les premières tequilas 100% Agave, alors qu’à l’époque, j’avais une très mauvaise idée sur la Tequila, et j’ai trouvé cela incroyable ! 

Aujourd’hui, tu es un personnage multicasquettes :  entre tes bars, tes spiritueux, et peut-être d’autres choses que je ne connais pas. Te te présentes comment?

Je dis, même si ça peut paraître présomptueux, barman, distillateur et historien. J’aime bien ces 3 côtés. C’est plutôt Luc qui tient les bars maintenant, mais à chaque fois qu’on se retrouve je m’amuse à faire quelques prestations avec lui. Je me régale.

Est-ce que le bar te manque ?

Oui carrément, et c’est pour ça que je fais des guests dans mes propres bars maintenant (rires). J’en ai encore fait un en janvier. Trois soirées, c’était fantastique. J’en garde un super souvenir !

Guillaume Ferroni Barman

Comment vois-tu le monde des spiritueux actuellement ?

C’est un très bon secteur économique, dans le sens agréable. Personnellement, je m’y trouve très bien, et l’immense majorité des intervenants sont des gens bien. On s’amuse.

Au niveau économique pur, j’aime beaucoup la dualité entre les ultras grands groupes, et des petits entrepreneurs. On a besoin des gros industriels qui génèrent des milliers d’emplois. Et à côté, ça fourmille de craft, voir microentreprises. C’est une émulsion créative où les petits poussent les gros vers le haut de gamme ! Sans cela, les gros seraient sûrement restés sur des gros volumes, mais avec une qualité moyenne.

Justement, quand on s’appelle Maison Ferroni , comment fait-on pour rivaliser avec les gros acteurs du secteur ?

Je suis en craft, mais je suis quand même entrepreneur tout court. J’ai envie de grossir pour devenir une PME, mais en conservant l’esprit artisanal. C’est pour ça que dès le début, nous étions 4 associés : pour une boîte qui démarre c’est très compliqué. Tu as beaucoup de charges, pour pas beaucoup de recettes. Mais pour moi, c’était important d’avoir cette structure.

Pour répondre à ta question, se démarquer des gros n’est pas très compliqué, car ils sont très lourds. Quand ils rentrent en création, il faut qu’il y ait un département marketing qui bosse dessus. Ils ont beaucoup moins de facultés à créer, et quand ils le font, ils ne peuvent pas se permettre trop d’échecs ! Moi, je fais plein de créations, et si ça ne marche pas ce n’est pas grave. Quand je crée, c’est par curiosité d’abord. Et après, on voit s’il y a un marché pour. Certains sont très difficiles à vendre, et on en vend peu, mais ce n’est pas gênant.  On ne travaille pas à perte non plus, et ça me permet de continuer à faire mes recherches fondamentales. On apprend, et on apporte de la cohérence à la gamme. Niveau créatif, on sera toujours plus réactif que les mammouths. Après, on n’a pas la même puissance, pas la même capacité à faire parler de nos produits, on sera toujours plus cher à produire aussi.

Tu distribues comment tes produits ? 

Avant, on travaillait avec un distributeur national, et on gardait la distribution en région. Mais on a arrêté, on préfère garder le contact direct avec nos clients. On a juste des agents locaux. La région représente deux tiers de notre marché.

On avait rencontré le créateur du whisky Kilchoman qui nous avait dit qu’il ne souhaitait pas la création d’une distillerie à son pire ennemi tellement c’était des emmerdes à gérer. Tu dirais pareil ?

Non ! Mais je pense qu’il faut être plusieurs, et il faut quelqu’un qui gère la partie ingrate. Et moi, j’ai ça dans mon équipe. Une personne gère la partie douanière, réglementaire. Et je ne l’en remercierai jamais assez. C’est de la paperasse. Si j’avais à le faire moi, c’est une partie qui est ingrate, et ça ne m’intéresserait pas du tout.

Quand on regarde ta gamme, tu as beaucoup de références. Quel est ton processus créatif quand tu crées un nouveau spiritueux ?

Ça dépend si c’est un spiritueux ancien ou non. Si c’est un spiritueux ancien, je collecte toutes les recettes du produit, car les recettes ne sont jamais les mêmes. Et ensuite, je cherche les dénominateurs communs : quel grammage est le plus répandu, les ingrédients ! Puis, je reproduis et je goûte. Je ne change en général qu’une seule chose qui est le taux de sucre. À l’époque c’était beaucoup trop sucré, donc je l’adapte aux normes de consommation actuelles.

Pour les autres produits, je pars d’une page blanche. Et quand je veux créer une catégorie, je me compare aux confrères. Par exemple en ce moment, je travaille sur un Aquavit. J’ai acheté énormément de bouteilles d’Aquavit, et je regarde si j’arrive à faire mieux, ou non. Et comment créer ma propre identité sans leur ressembler.

Pour le gin j’ai fait ma recette au goût. Et ensuite, j’ai dégusté à nouveau en comparaison, pour ajuster la puissance aromatique. Mon goût était là, mais quand tu goûtes seul dans un labo et avec du monde dans un bar, ce n’est pas la même chose. Ça m’a été très utile, car ça m’a appris que j’étais trop puissant en aromates. J’ai retravaillé ensuite pour baisser en grammage.

L’aquavit est déjà sorti ?

Non, car je ne suis pas encore assez satisfait de ma recette. J’en suis à la quatrième recette, mais il y a des notes qui me dérangeaient. Je travaille autour de trois bouquets : l’aneth, le carvi et les herbes de Provence, pour la signature provençale. On teste encore.

T’arrive-t-il de sous-traiter la distillation des certains produits ? 

Je songe à sous-traiter pour le rhum de mélasse. Mes alambics sont de trop petites tailles pour que ce soit économiquement viable. Je n’en fais que 200 bouteilles par an. Ça vaudrait le coup d’en faire plus pour mettre en fût, mais soit il faut que j’achète un gros alambic, soit que j’aille distiller ailleurs.

Tu utilises quel matériel pour la distillation ?

J’aime les vieilleries donc j’utilise trois alambics très anciens et ultras artisanaux.  J’ai deux alambics qui datent d’avant 1900. Ils sont même datés du premier jour de l’immatriculation des alambics aux douanes. Il n’existe pas d’alambic plus ancien en termes de marquage.

Et j’en ai un autre qui date des années 40. C’est un alambic alsacien, qui marche au bois. Les deux autres sont au gaz.

Ils sont très petits : entre 100 et 150 litres de charge. Rien à voir avec ce que tu peux voir pour le cognac et le whisky !

Guillaume Ferroni Distillation

Par rapport à tous les spiritueux sortis, il y en a un sur lequel tu t’es vraiment cassé les dents ?

Il y en a sur lesquels je me suis cassé les dents et que je n’ai pas sorti. Au bout d’un moment tu fais une pause, car ça écœure de ne pas trouver. Ça m’est arrivé sur le vermouth. J’ai trop buté sur la R&D.

Sur ceux qui sont sortis, c’était l’eau verte de Marseille. Essentiellement pour les ingrédients. Il y a besoin de menthe poivrée, mais avec des dosages colossaux. Pour un gin, tu es aux alentours de 15 grammes par litre en aromatique. Là, on est à 600 grammes par litres. J’ai produit une première production et quand je devais faire la seconde commande, je cherchais la menthe poivrée, mais je n’arrivais pas à en trouver, car c’est une plante qui est saisonnière. Elle reste végétative toute l’année. C’est seulement au mois de mai que c’est bon. Donc, on a dû attendre un an avant de pouvoir en refaire ! Maintenant, j’achète pour tenir un an.

À part l’aquavit, d’autres choses dans les tuyaux qui vont bientôt sortir ?

L’absinthe qui est finie et formulée. On travaille actuellement sur la bouteille. Et je me suis lancé dans la vodka, mais je ne veux pas faire de la vodka pure. Je sors une gamme de vodka redistillée en présence d’agrumes rares, ou du moins qui ont une signature. Je vais quand même sortir une vodka blanche qui sera marquée par les notes céréalières.  

J’ai commencé avec le citron de menton et celui de Sorrento, qui sont des IGP. Je teste tous les agrumes et je vois ceux qui fonctionnent ou non. Mais, c’est plus marqué par les agrumes que par la vodka.  Les agrumes, c’est un domaine que j’adore explorer, et la vodka est le spiritueux idéal pour les laisser s’exprimer et les mettre en valeur.

Quand on s’était croisé dernièrement, tu m’avais dit que tu avais distillé un poulpe. Ça t’arrive souvent ?

(rires). Non je crois que c’est le truc le plus barré que j’ai fait ! J’avais fait des algues une fois également. J’avais réfléchi à l’eau de mer pour voir si j’arrivais à attraper des notes marines. Mais je ne l’ai pas encore fait, donc ça risque de sortir !

Et après les fermentations croisées est un domaine qui m’intéresse beaucoup. Car chaque matière fermentée développe ses propres arômes. Par exemple, faire fermenter ensemble de la mélasse et du raisin ! J’ai déjà fait de l’eau de vie de datte, et la datte, ça fermente de manière fantastique. La peau de datte à ses propres ferments. Faire que le ferment des dattes fasse fermenter le raisin, etc. C’est une idée !

Guillaume Ferroni Botaniste

Le rhum est ton spiritueux de prédilection ?

Oui, et la tequila qui vient ensuite ! Je suis un grand buveur de tequila, mais c’est un truc que je ne pourrai pas aborder avant longtemps. Je plante des agaves chez moi. Mais ça fait 5 ans et je pourrai les récolter dans 10 ans.

J’ai des agaves bleus, mais qui ne supportent pas terrible le climat. Et deux variétés à mezcal qui se développent bien, mais avec une croissance ultra lente. Donc si je fais mes premiers tests dans 10 ans, il faudra que j’en replante, et il faudra encore attendre 20 ans !

Le rhum, tu le préfères pur ou cocktail ?

En cocktail, type Ti’Punch ou Old Fashioned. Dont une version avec des zestes d’orange pillés au fond du verre. Le Mai Tai aussi, j’apprécie beaucoup !

Pendant le confinement, tu bois quoi ?

En ce moment, je me fais des Ti’Punch à la tequila ! Tequila, citron vert. J’avais du rhum, mais je l’ai fini et je n’ai pas envie de vider mon stock !

Je ne suis pas vraiment en confinement, je continue de bosser, mais pour les apéros online, ça marche bien.

Première chose que tu feras après le confinement ?

Je travaille actuellement sur un « gin confinement ». On a filé tous nos stocks d’alcools pour les pharmacies. Et j’ai beaucoup de distillats expérimentaux qui traînaient. On passe tout dedans. Ça va être une recette complexe (rires). Au moins 150 ingrédients ! Donc je vais m’occuper de commercialiser ça. Et ça correspondra à l’ouverture de l’arbre dans les arbres. Donc j’irai fêter ça au bar dans les arbres !

On a passé dedans toutes nos bases de gin, celles développées pour les confrères. Il nous restait aussi 6 litres de Hanky Panky qui vont passer dedans. Et je fais de la formulation pour d’autres entreprises. Donc, tous ces distillats vont être redistillés en présence des aromates. On va arriver à un bon millier de bouteilles ! Là franchement, je ne m’ennuie pas en ce moment.

Guillaume Ferroni Dans les Chais
Author

Fondateur de ForGeorges - plus de 1 000 bars testés à travers le monde - prend autant de plaisir à tester un nouveau bar, que déguster un spiritueux ou un verre de vin en bonne compagnie ! Spécialiste de la loi Évin et dénicheur de bonnes idées et innovations pour les marques d'alcool ! Son cocktail préféré ? Tous à partir du moment où ils font passer un bon moment (mais ne crache jamais sur un old fashioned bien réalisé ! ). Auteur des livres : Le Whisky C'est pas Sorcier, Le Rhum c'est pas sorcier et Les Cocktails c'est pas Sorcier, aux éditions Marabout et traduits en plusieurs langues (Anglais, chinois, japonais, russe, italien, néerlandais...) Auteur des livres : Le Whisky C'est pas Sorcier, Le Rhum c'est pas sorcier et Les Cocktails c'est pas Sorcier, aux éditions Marabout et traduits en plusieurs langues (Anglais, chinois, japonais, russe, italien, néerlandais...)

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