Maison Wolfberger : vins d’Alsace

En début d’année, la Maison Wolfberger, spécialisée dans la production de vins alsaciens (mais aussi de spiritueux), a proposé au chef Denny Imbroisi passé par les cuisines du Jules Verne, de sélectionner les vins de son choix, et sur cette base, de créer ses propres accords. Le charismatique chef a accepté la collaboration, en voyant là l’occasion d’ouvrir sa cuisine à d’autres pistes, et d’y associer le terroir alsacien. On vous livre le résultat de son travail et échange avec Emilie Lejour, œnologue chez Wolfberger et responsable de la vinification sur le site d’Eguishem :
• Langoustines et Riesling Grand Cru Muenchberg
• Noix de Saint­‐Jacques et Muscat Signature
• Vitello tonato et Pinot Gris Grand Cru Frankstein

Chez ForGeorges, on vote pour ce genre de démarche. On a donc rencontré Denny et Emilie pour en apprendre davantage sur leur collaboration. Au final, une belle complémentarité entre deux approches, des connaissances et des sensibilités différentes. On vous laisse apprécier par vous-même.

L’interview avec Denny Imbroisi

Denny, tu peux nous expliquer comment s’est déroulée votre collaboration ?

 – Denny Imbroisi : cette collaboration, c’était un projet nouveau pour moi. Or tout ce qui est nouveau m’intéresse, parce que ça me nourrit. Ma cuisine emprunte d’autres chemins. Par exemple, j’ai commencé à élaborer des menus avec des pâtes en intégrant des vins alsaciens. Chose que je n’aurais jamais tenté avant. La maison m’a proposé plusieurs vins. Parti de là, j’avais du concret pour travailler. Je les ai goûtés avec Antoine, de mon équipe. J’en ai retenu 6 qui me plaisaient. C’est essentiel pour moi de choisir des produits avec lesquels j’aime travailler : légumes, fruits, poissons, viandes ou vins. Ca ne marche pas quand je ne ressens pas d’émotion vis-­à-vis d’un produit. C’est pareil quand je compose un plat. Je sers quelque chose qui correspond à mon envie du moment, à que j’ai moi-­même envie de manger et de partager avec les convives. L’idée de cette collaboration était de régler l’accord entre plats et vins au millimètre près. Les plats ne devaient pas écraser le vin, ni l’inverse. J’ai proposé des plats à Emilie. Il y avait une structure de base sur laquelle j’étais relativement confiant. Avec sa connaissance du vin – persistance en bouche, minéralité – Emilie m’a aidé à rectifier l’accord avec le plus de justesse possible. Il ne s’agissait pas de lui imposer un accord. Je proposais, et après c’était un dialogue. Au restaurant, c’est pareil, j’essaie de continuer à faire partie du service pour échanger avec les convives. Parfois je propose une cuisine italienne typée, qui peut surprendre des clients français. Je prends le temps de sortir en salle pour leur expliquer le plat, et je pense qu’ils apprécient d’autant plus ce qu’ils ont mangé.

Selon toi, est-­ce que l’appréciation d’un plat passe par un équilibre des goûts dans l’assiette ?

-­ D.I : Il y a deux écoles. Selon l’ancienne, un produit gras – le foie gras par exemple – doit être associé avec un condiment acide. En ce moment je cuisine des gnocchi au fois gras, donc je vais choisir un vin qui dégraisse en bouche. La nouvelle école, ce serait de rajouter du gras. Mais il faut aussi tenir compte du contexte. Je te fais voyager un moment. On est le soir à la montagne. Il neige dehors. Tu n’as pas envie de quitter la table, tu sais que tu repars pour travailler dans le froid. Je ne te ferai pas finir sur un vin acide. Je te proposerai un vin plutôt rond. Tu auras envie de rester à table, de prendre le temps de le déguster.

Quand on t’écoute, on a l’impression que la composition d’un plat résulte d’une mémoire affective, de goûts personnels, de créativité, de l’inspiration du marché, de règles à respecter. Tu peux nous décrire cette démarche créative ? Et dans le cadre de ta collaboration avec Wolfberger, comment es-­tu arrivé à ces accords ?

-­ D.I : Dans ce cas précis, ça s’est fait en goûtant les vins, et en échangeant avec Antoine. Par exemple, le Muscat Signature a une minéralité qui se marie avec un produit iodé, un coquillage. Pas un maquereau, qui a un goût trop fort. Il fallait une chair blanche et douce. Pour autant, le Muscat ne devait pas prendre le dessus sur l’assiette. Mais l’inspiration n’est pas seulement gustative. C’est aussi olfactif et visuel. Dans ce contexte, je suis parti des vins pour élaborer. Mais la démarche est plus aléatoire en cuisine : je pourrais commencer par composer un plat, puis trouver le vin qui va l’accompagner. Et puis la manière dont je choisis de traiter mon produit influence aussi la tournure du plat : la noix de Saint-­Jacques cuite ou crue n’a pas du tout le même rendu. Je te parlais effectivement d’une banque de données personnelles. Quand ta mère te faisait à manger dans ton enfance, tu as mémorisé des goûts. Dans 10 ans, tu apprécieras d’autant plus le plat parce qu’il te rappellera des souvenirs et te procurera des émotions. D’ailleurs sur une carte, les gens s’orientent souvent vers ce qu’ils connaissent. Ils choisissent plus rarement ce qu’ils n’ont jamais goûté auparavant. Aller au marché est également important pour moi, au moins 3 fois par semaine si possible. Je travaille depuis 14 ans en cuisine, et j’ai développé une sensibilité par rapport à certains produits. Quand je vois un poisson par exemple, je pense tout de suite à une trentaine de recettes que j’ai déjà réalisées. Et puis visualiser les produits sur le marché au lieu de les commander à distance présente un réel avantage : je vois s’ils sont prêts à être travaillés. Enfin effectivement, il y a des règles techniques à respecter : la maîtrise des cuissons, l’assaisonnement, la saisonnalité des produits.

Tu peux nous parler de ton parcours ?

-­ D.I : J’ai commencé à 14 ans en Italie. J’avais envie de partager des choses avec mon père et je lui ai demandé de m’emmener travailler avec lui. Le dimanche, pendant que mes copains jouaient au foot avec leur père, j’apprenais à éplucher des légumes avec le mien en cuisine. Mon premier boulot consistait à confire des tomates cerises. Au fur et à mesure, soit la liste des tâches s’allongeait, soit je devais travailler plus rapidement. J’aimais ce challenge. Il m’a donné une belle formation. Progressivement je me suis passionné pour la pâtisserie. Mais avant que je crée ma propre cuisine, mon père voulait que j’apprenne le métier. Pendant l’été, il m’a envoyé chez des chefs étoilés, comme Perbellini en Italie. Je travaillais avec des gens de 25, 30 ans qui composaient de belles assiettes. Je voulais en être capable moi aussi. Perbellini m’a pris sous son aile et j’ai fait un stage chez San Domenico à Vérone. Après j’ai moi-­‐même insisté pour qu’il m’envoie en France. Je voulais travailler chez Ducasse. J’ai travaillé à Menton. Puis chez le chef Mauro. Il était très occupé, et je faisais les déplacements à l’étranger à sa place. Lors d’un congrès de cuisine à Genève, j’ai rencontré William Ledeuil. C’était un chef rationnel, posé. J’ai fait un stage chez lui, et il m’a demandé de rester comme second.

Sous-­chef au Jules Verne chez Ducasse, tu gérais une brigade. Récemment tu viens d’ouvrir ton restaurant IDA, et tu gères ta propre équipe. Tu peux nous expliquer la différence entre ces deux responsabilités ?

-­ D.I : chez Ducasse, j’avais une brigade de 40 personnes à gérer. Il y a une partie gestion, avec un timing précis: les matinées pour lancer les sauces, préparer les bouillons, éplucher les légumes, anticiper et coordonner les plannings de chacun. Je n’avais pas le temps d’expliquer les choses. Au contraire, en tant que patron de mon restaurant, je peux transmettre à mon équipe. En même temps, je sais qu’ils se donnent à fond pour moi. J’ai envie de donner de ma personne.

 

Wolfberger a travaillé jusqu’à présent avec des chefs – Philippe Bohrer, Olivier Nasti – profondément attachés à la tradition culinaire alsacienne. Denny Imbroisi a appris le métier en Italie, en France, en Espagne. Sa cuisine est assez nomade. Elle se nourrit de différentes cultures. Pouvez-­nous expliquer ce choix de collaboration ?

-­ Emilie Lejour : Nous voulions montrer que la cuisine méditerranéenne pouvait aussi se révéler avec des vins alsaciens. L’Alsace est une région réputée pour ses vins blancs qu’on associe traditionnellement avec des poissons. Or on peut tenter beaucoup d’autres choses. Visiblement, cette collaboration a représenté un enrichissement de part et d’autre. Denny a élaboré de nouveaux menus à base de pâtes, en intégrant les vins alsaciens qu’il a découverts.

Pouvez-­nous décrire l’un des vins choisi par Denny – le Muscat Signature – avec votre point de vue d’œnologue ?

-­ E.L : Contrairement aux a priori, ce n’est pas nécessairement un vin sucré. Il est frais, léger, avec des notes de raisins et de fleurs blanches. On a l’impression de croquer directement dans la grappe. Il est parfait pour ouvrir le repas. On s’est amusés à prendre des risques, à le marier avec d’autres produits que les asperges. Denny m’a proposé un plat complexe à base de Noix de Saint-­Jacques, qui impliquait beaucoup de saveurs différentes. J’avais peur que le vin soit en retrait. Il est léger et aromatique. Il suggère. Pourtant j’ai trouvé que le résultat fonctionnait. C’est une combinaison que je proposerai désormais en dégustation.

Comment s’est déroulée cette collaboration à 4 mains, 2 nez et 2 palais ?

-­ E.L : La collaboration a commencé en Mars. J’ai retrouvé Denny à 10h le matin, alors qu’il revenait du marché. La collaboration s’est faite de manière très vivante, en direct : il cuisinait, et je faisais des suggestions au fur et à mesure que je goûtais. Par exemple, sur le plat de Saint-­Jacques, j’ai trouvé qu’il pouvait insister sur le condiment au citron. C’était important pour nous que mets et vins se répondent, que l’un comme l’autre soit mis en valeur. Il m’a proposé le Pinot Gris avec un vitello tonato, alors que je serais plus traditionnellement partie sur une viande avec une sauce aux champignons. Personnellement, j’ai découvert de nouvelles associations. De son côté, même si c’est un grand chef, il écoutait mes remarques, il en tenait compte et il a accepté de revoir ses compositions. C’était très enrichissant parce qu’on se complétait.

Quand vous travaillez toute l’année aux vinifications, vous pensez systématiquement aux accords possibles ?

-­ E.L : C’est un travail régulier. Quand on finit un assemblage, j’essaie de penser au type de plats qu’on pourrait proposer. Je vois large – des plats recherchés, des plats plus simples – pour tenir compte d’un maximum de consommateurs. En parallèle, les commerciaux et les responsables du marketing nous remontent des informations par rapport aux goûts actuels, aux tendances.

Wolfberger entretient le dialogue avec les chefs, et propose régulièrement des accords mets/vins. Pouvez-­‐vous nous expliquer cette ouverture sur la gastronomie ?

-­ E.L : Depuis que nous avons lancé la gamme Signature en 2009, nous organisons des dégustations en faisant intervenir des restaurateurs, des chefs. Ces rencontres sont l’occasion de nous remettre en cause et nous renseignent sur les goûts actuels. Cette année par exemple, le vin sucré n’est plus la tendance. On reverra donc notre vinification, et on se concentrera sur le développement de vins plus secs. D’ailleurs les vins Wolfberger produits il y a 20 ans n’ont rien à voir avec nos vins actuels. Nous travaillons également à l’export. Il faut donc tenir compte des attentes de différents marchés – australiens, belges, français – tout en sachant que chacun a sa vision du Pinot gris par exemple. Le vin sera donc vinifié individuellement, par rapport à chaque marché. C’est une gymnastique complexe mais essentielle. On ne produit pas le vin pour nous, mais pour le partager avec une multitude de personnes.
Parfois, c’est un collaborateur qui nous rapporte des informations de l’étranger, ce qui nous permet d’être au plus près des attentes du client. Parfois, nous-­mêmes viticulteurs revenons de voyage avec de nouveaux éléments de compréhension, et nous adaptons nos méthodes de vinification pour l’année suivante.

Vous êtes spécialisée sur le domaine d’Eguishem. Quels vins peut-­on y trouver ?

-­ E.L : Des Pinots noirs, des Grands Crus. Nous bénéficions d’une réelle variété. Nous avons aussi la particularité de vinifier des vins blancs en barriques. C’est une technique novatrice en Alsace. Traditionnellement, on applique cette méthode aux Pinots blancs, gris, mais pas aux vins blancs, et encore moins à des cépages comme le Salvagnac. Étrangement, ce vin est tenu en retrait. Pourtant, bien travaillé, nous pensons qu’il possède un fort potentiel aromatique.

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