L’avant-confinement, le confinement, la réouverture. Beaucoup de choses se sont passées en l’espace de quelques jours. Que se passe-t-il dans la vie et la tête d’un bartender pendant ces moments ? Comment garder le contact avec ses clients ? Surtout lorsque c’est votre établissement ? On a posé ces questions à Aurélie Panhelleux, du bar CopperBay.

On retourne en arrière, début janvier. Dans quel climat / ambiance vous commenciez cette nouvelle année ?

Début janvier, c’était le retour suite aux grèves de décembre. On se posait des questions. On est content de revenir, nous sommes super motivés avec nos équipes. Les gens sont tout de suite revenus dans les bars, sont ressortis. 

Et puis là, voilà, coronavirus. En février on commence à en entendre beaucoup parler. On revenait de Shanghai début décembre, j’ai un de mes très bons amis qui est là-bas. On parlait ensemble de la situation pendant les grèves. Après, ça s’est inversé, c’est lui qui a commencé à me dire « Aurélie, il se passe un truc, et ce n’est pas bon ». La chance que nous avons nous les barmans, c’est de tous se connaître, être une petite famille, et on communique pas mal entre nous à travers le monde. 

Après, tu as beau le savoir, quand ça tombe, c’est difficile. En cinq ans et demi d’ouverture ça fait beaucoup.

Samedi 14 mars, Édouard Phillipe annonce la fermeture des bars. Toi, tu l’apprends, tu le vis comment ? Qu’est-ce qui se passe dans ta tête à ce moment-là ?

Pour être très franche, on savait que ça allait arriver, mais on pensait plus que cela se ferait la semaine suivante. Ça faisait déjà une bonne semaine qu’on gérait toutes les commandes et mise en place en flux tendu, on avait vu une très légère baisse d’activité. Et puis, l’annonce tombe le samedi à 20h, en termes d’horaire pour nous c’est en plein service.

J’ai regardé l’intervention au sous-sol, et je suis remontée. Tout le monde était déjà au courant, mais il faut en parler puis continuer le service, garder le sourire et fermer. 

Nous avons de la chance, car nos équipes ont compris que le temps nous le prendrions après le service pour en parler ensemble et ils ont tout donné sur ce dernier service. 

Et puis il y a les gestes et paroles des clients qui nous touchent. On a beaucoup d’habitués qui, dès qu’ils ont entendu l’annonce, sont venus « si on boit un dernier verre, ce sera chez vous, et puis on ne va pas en boire qu’un, on sait que ça vous aidera plus tard ». Et je prends notamment l’exemple d’un couple de clients que j’adore, qui revenait du Pérou, ils venaient d’atterrir à l’aéroport. Ils ont entendu l’annonce dans le taxi, et ils ont posé leurs valises chez eux et sont venus jusqu’à la fermeture. 

On comprend tout à fait de devoir fermer et nous sommes d’accord avec cela, mais le timing était compliqué. L’hôtellerie-restauration est un corps de métier qui demande d’avoir une bonne gestion stocks, le sourire tout le temps et d’être hospitalier. Cette annonce s’est malheureusement faite dans l’urgence, et cela nous a blessés.  Ce premier week-end a été dur.

Qu’est-ce qui se passe les jours suivants ?

La première chose c’est qu’on s’est dit qu’on allait revenir tous le lendemain, parce qu’il fallait bien nettoyer le bar, et tout ranger comme quand on part en vacances. Et surtout prendre le temps de parler de la situation en détail, répondre aux questions de chacun.

On a fait un brunch au bar, on s’est posés, on a mangé tous ensemble. On a fait comprendre à l’équipe qu’ils étaient une priorité. 

Ensuite, ça a été organisation nettoyage, c’est-à-dire déjà de gérer tous les stocks en produit frais, donc qu’est-ce qu’on pouvait conserver, qu’est-ce qu’on ne pouvait pas conserver. Alors, on a eu vraiment du bol, on a quasiment rien jeté, car on a géré en flux tendu. 

Et on a donné certaines choses à des gens sans domicile autour de nous, ils en ont besoin. Après, c’était au revoir. Très particulier en plus, parce que Corentin devait finir le 31 mai, et on a toujours des traditions dans les bars. Et en fait, il s’est rendu compte le samedi soir, et il me l’a dit, « en fait ce soir c’est mon dernier soir ».
Et tu vois, finir comme ça, pour lui c’était dur, et pour moi ce n’est pas facile non plus. Même si ce n’est pas de notre faute, ce n’est pas cool. On avait un petit nouveau aussi, François, qui venait d’arriver, donc c’est sa première semaine. Bizarre comme première semaine.

Il se souviendra de sa première semaine…

Le petit, il vient d’arriver, il se dit « j’ai fait une semaine, ça ferme, qu’est-ce qui va se passer pour moi ? ». L’équipe a bien réagi, on est fiers d’eux. On reste en contact, on s’envoie des messages assez régulièrement, et puis là depuis deux semaines, on a mis en place des masterclass en ligne en équipe. 
On n’a jamais eu autant de temps pour apprendre et engorger encore des connaissances, et il faut le faire, on a toujours des choses à apprendre.

Aurelie Panhelleux dans son jardin avec ses poulles

Beaucoup d’établissements sont en guerre avec leur assurance. Vous aussi ? 

Alors, la question des assurances, on n’aura rien ! Il aurait fallu qu’il y ait une décision de l’état et les assurances forcément n’avaient pas prévu la pandémie dans les contrats. 

Ils sont en train de voir si les assurances participent à un fond à long terme. On apprécierait tous vu qu’on paye pour cela.

Après, il faut quand même remettre les choses en perspective. On est en France, on a quand même beaucoup de choses qui ont été mises en place pour nous, et quand tu regardes ailleurs, ce n’est pas du tout le cas. Il y a très peu de pays qui ont ne serait-ce que 50 % de l’aide que l’on a. Cependant, il faut aussi dire les choses. 

La première, le chômage partiel. C’est très bien, et ça permet de sauver nos équipes et nos emplois. Pour ça, merci. Par contre, il ne faut pas oublier que c’est nous qui avançons. À l’heure actuelle, on attend les remboursements de la première période, qui n’ont toujours pas été faits. Donc là, ça veut dire qu’on arrive à un stade où l’on doit avancer la deuxième partie… Il y à l’aide de 1500 euros aussi ou la possibilité de faire des emprunts comme via la BPI pour avoir de la trésorerie.

Mais les autres aides sont souvent des reports de charges, loyers ou autres donc à la rentrée il faudra quand même payer. La chose qu’il ne faut pas oublier, c’est qu’on va tous recommencer, avec des dettes et là il va falloir que l’état nous aide encore sinon ça va être l’hécatombe dans l’hôtellerie-restauration.

Ils parlent d’annuler les charges des restaurateurs et bars… 

Jusqu’à fin mai ou mi-juin. Ça reste le débrief, je pense qu’il faut être très vigilant, il faut attendre les écrits. 

Sauf qu’on ne va pas rouvrir à 100 % de notre capacité, c’est impossible. On ne va pas avoir la masse de clientèles qu’on a d’habitude. Je parle pour Paris, et je parle pour d’autres grandes villes françaises aussi. On va attaquer la période qui est la plus calme pour nous de l’année, c’est-à-dire l’été, donc ça fait beaucoup. 

Par rapport à la réouverture, déjà la date, mi-juin, ça te semble plausible ou pas ? 

Ça peut être plausible, mais j’attends vraiment que les décisions tombent pour me dire que ça va être comme ci ou comme ça. Les hypothèses font plus de mal que de bien.

Après on essaye de projeter, mais c’est compliqué et parfois cela ne sert à rien. Par exemple, on devait changer de carte en Mai. Du coup, on a reporté à Septembre et on adaptera autre chose cet été. On développe nos autres projets en parallèle.

Je pense que pour la plupart d’entre nous, c’est le plus gros break qu’on ait jamais eu dans nos vies (personnellement depuis que j’ai commencé ma carrière y a 13 ans) donc un peu de repos ne fera pas de mal.

Mon focus c’est le sommeil, impossible de me caler. Et faire des gâteaux à 23h. Bon c’est drôle 2 secondes, mais faut que j’arrête !

Tu es toujours calé sur le travail ? 

Oui, je pense beaucoup à l’après, l’organisation, je fais pas mal de trucs en fait. J’ai de la chance, je suis confinée chez moi en Bretagne. La maison nous permet d’avoir chacun nos espaces, et de ne pas les croiser mes proches. Je me suis baladée avec un masque et des gants pendant 15 jours. Ça, c’était vraiment une angoisse. Et en même temps, à Paris j’ai un appart où il y avait des travaux et je n’avais pas de salle de bain. Mauvais timing. On est dans un village au milieu de nulle part, donc le contact avec les autres, autant dire, on n’en a pas. 

Je récupère de l’énergie, une hygiène de vie correcte en étant ici : bien manger, de faire mes trois repas par jour, de l’exercice, prendre des cours en ligne.

Tu penses à la réouverture ? 

On a une chance, qui est que CopperBay est assez grand en termes d’espace. Quand on va rouvrir, on peut distancier les tables les unes des autres. On en parle beaucoup aussi avec beaucoup de grands acteurs de l’industrie : chacun y va de ses petits conseils, on échange beaucoup. 

C’est hyper rassurant de se sentir entouré, encadré, et d’avoir des gens qui peuvent répondre à tes questions. 

Il y a bien sûr plein de choses auxquelles on réfléchit, des ventes à emporter, l’aménagement des surfaces, l’hygiène, les nouveautés qu’on prépare. La chose la plus importante après mon équipe, ce sont mes clients. C’est pour ça qu’on a mis en place « les tutos du Frigo » sur Instagram par exemple. On s’est dit, c’est le moment de faire des tutos, mais des tutos hyper simples. De prendre ce que potentiellement, 80 % de nos clients vont trouver dans leur frigo, dans leurs placards. 

C’est rigolo, les gens nous envoient des messages « hey salut, j’ai du romarin, le prochain tu peux faire un truc au romarin ? ». Moi j’adore. Je suis une espèce de Chantal Goya du bar. 

D’ailleurs, j’ai conservé ce midi la tomate qui était avec mes sardines, il y a quelque chose à faire avec ça ? 

Tu peux te faire un twist de dry martini par exemple. Tu fais un « fat wash » (infusion d’un corps gras dans de l’alcool) gin/huile à la tomate, tu la mets au congélateur pendant 3 jours, tu filtres sur du sopalin. Ton gin va ressortir nickel sans gras, avec le goût de ton huile. Et tu te fais juste un petit dry martini comme ça.  Ce côté tomate, gin, herbes fraîches ça sent le Sud ! 

Il fait quel temps en ce moment en Bretagne ?

Franchement, on a eu super beau le premier temps de confinement, genre parfait, soleil. Mais la ça se gâte, home sweet home… 

T’as un cocktail confinement à nous conseiller ? 

Je bois beaucoup de Mauresque, parce que pour les visios apéro, forcément, c’est plus pratique ! Je suis plutôt simple : mauresque, pas mal de longs drinks légers. Un Skinos tonic avec un peu de basilic ou vermouth soda et c’est parfait ! 

Ma mère fait des cocktails depuis des années. Elle sait sur quel site aller, elle a des bouquins de bar à la maison. J’adore quand elle m’appelle du supermarché, en direct du rayon spiritueux.

Un mot de la fin ?

Bisous à tous les copains, on se voit vite !

Aurelie Panhelleux cocktail CopperBay
Author

Fondateur de ForGeorges - plus de 1 000 bars testés à travers le monde - prend autant de plaisir à tester un nouveau bar, que déguster un spiritueux ou un verre de vin en bonne compagnie ! Spécialiste de la loi Évin et dénicheur de bonnes idées et innovations pour les marques d'alcool ! Son cocktail préféré ? Tous à partir du moment où ils font passer un bon moment (mais ne crache jamais sur un old fashioned bien réalisé ! ). Auteur des livres : Le Whisky C'est pas Sorcier, Le Rhum c'est pas sorcier et Les Cocktails c'est pas Sorcier, aux éditions Marabout et traduits en plusieurs langues (Anglais, chinois, japonais, russe, italien, néerlandais...) Auteur des livres : Le Whisky C'est pas Sorcier, Le Rhum c'est pas sorcier et Les Cocktails c'est pas Sorcier, aux éditions Marabout et traduits en plusieurs langues (Anglais, chinois, japonais, russe, italien, néerlandais...)

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