Quand le monde du bar commence doucement à se sensibiliser envers la parité homme-femme, qu’en est-il de la diversité ? On a demandé leur avis à plusieurs personnes de l’industrie qu’ils soient bartenders, chef barman, client ou annonceur. On a récupéré leur point de vue et leur expérience sur la question. Avec des choses assez incroyables en 2020… Un sujet ultra complexe qui n’apporte ni jugement ni morale. Mais essaie de comprendre le bar français en 2020, au niveau de sa diversité.

Des problèmes de racisme qui sont là…

Wendy Sengomona

Est-ce que le racisme est quelque chose que les bartenders peuvent vivre au cours de leur vie ? Ils sont en première ligne face aux clients. Ils en voient passer des centaines chaque semaine. Pour Wendy Sengomona (ex bartender à La Boca Bordeaux), les problèmes restent rares.

« Je n’ai pas eu énormément de problèmes. À part une fois, avec un groupe de clients espagnols. Ils m’ont ignoré et détournaient le regard, mais parlaient normalement à mon collègue. Cela ne m’a pas traumatisé car j’ai tendance à relativiser les choses… Si on me dénigre pour ma couleur de peau, et bien tant pis. »

Carole Boule
Carole Boulle / Photo Aron Farkas

Pour Carole Boulle (ex Bartender à la Mezcaleria), le dernier exemple date de quelques jours avant le début du confinement : « un client m’a clairement dit avant le confinement qu’il ne voulait pas être servi par une nègre. Alors que je travaille actuellement dans un établissement où tu as toutes les ethnies. » Un exemple isolé ? Pas vraiment. « Un client a eu des propos très insultants quand j’étais à la Mezcaleria, car j’étais une femme, car j’étais noire et, car je faisais d’après lui un sous-métier. »

C’est là où l’équipe et surtout l’équipe dirigeante ne doit pas baisser le regard et se doit d’intervenir : « Le mec a ensuite porté plainte auprès du directeur de l’hôtel. Mais toute l’équipe est intervenue pour prendre ma défense. C’était très beau de voir que des gens remarquent que ce n’est pas normal ce comportement et interviennent. » 

Un problème de diversité à cause des patrons d’établissements ?

Mais d’ailleurs comment ça se passe au niveau de l’équipe dirigeante. On a voulu en savoir plus avec Ben Tyler (chef barman et consultant). Il a embauché toutes les ethnies dans ses équipes : « J’ai embauché des blacks, des rebeus, des asiats. Toutes les ethnies ! »

Donc forcément quand on lui a demandé s’il a déjà eu des problèmes de racisme à régler, les exemples ne manquent pas. « J’ai eu un client qui a pété un plomb et qui m’a dit dit qu’il se faisait servir par un mec du 9-3. Dans ce genre de moment, on se pose calmement, on s’assoit avec le client et mon gars. Et là je lui explique que je viens du 7-8, lui du 9-3, elle du 9-2, elle du 16 e. C’est un numéro comme un autre. Mais ce genre de clients qui pensent ça, ce sont des idiots avec une étroitesse d’esprit qui vont juger sur un élément vestimentaire ou une couleur de peau. De la même façon, ce n’est pas car tu portes des mocassins et que tu es habillé comme un plouc que tu es forcément un connard. »

Des problèmes au niveau du recrutement ?

Et au niveau de la diversité dans le monde du bar français, on en est où ? Pour Ben Tyler, le problème principal reste au niveau des gérants qui ne connaissent pas le métier :

 » Il n’y aura jamais assez de diversité dans le monde du bar. Tu as des patrons qui sont des investisseurs et qui ne connaissent pas le métier. Donc ils vont prendre le beau gosse, la belle meuf. Et ça s’arrête là. Mais est-ce qu’on n’est pas dans le délire du paraître ?

Il m’est arrivé de faire un consulting et dans mon casting de recrutement, j’avais un mec et une meuf, les deux blacks. Le boss me demande si ça ne fait pas “un peu trop”. Au début, je ne comprenais pas de quoi il parlait… J’étais à des années-lumière de voir le souci ! Donc s’il y a un problème de diversité, il vient des patrons ». 

Heureusement pour certains, le recrutement se passe sans embûches. C’est notamment le cas de Wendy : « Parfois, j’ai plus ressenti de l’engouement quand j’ai postulé alors que j’ai rarement présenté mon CV. Au Moonshiner par exemple, je me suis installé au bar, j’ai commandé et j’ai commencé à discuter. La semaine suivante, je commençais mon essai. Je n’ai jamais eu ce regard du « non ça va pas convenir parce que… »  » .

Pour Carole, pour voir les problèmes de diversité un moyen rapide pour le voir : « Il suffit de se promener dans tous les bars à cocktails, ou même sur les salons professionnels comme Cocktails Spirits. Des femmes noires barmaids, je n’en ai pas rencontré beaucoup. Quand on t’invite pour des guests, c’est flatteur, mais est-ce que je suis là parce qu’il faut inviter LA black car il n’y a personne d’autre ? »

Comment expliquer cette sous représentation dans l’industrie ?

Ingrid Lay

Est-ce qu’il y a réellement une sous-représentation ? Impossible de le confirmer chiffres à l’appui. Les statistiques ethniques sont interdites en France. Pour Ingrid Lay, grande amatrice de bars à cocktails qui les fréquentent régulièrement, la diversité n’est pas flagrante « Je fréquente beaucoup de personnes du milieu du bar. Et étant à moitié dans l’industrie pour avoir travaillé dans un bar, j’ai un contact privilégie avec les barmen. La diversité est globalement assez restreinte. Et elle est encore plus flagrante chez les femmes. En plus dans l’industrie, les femmes doivent toutes être bien taillées. Alors que chez les hommes on voit de tous styles, de toutes corpulences ! »

Mais d’ailleurs, y a-t-il une volonté de cacher son personnel issu de minorités ? Pour Ingrid, même si le cas est loin d’être généralisé, il existe « J’ai un exemple où la personne travaille depuis plusieurs années dans un bar à cocktails, mais n’est présente nulle part. Est-ce pour une question d’image ? »

Est-ce que la culture joue un rôle dans cette sous-représentation ?

Julia Phang

Pour Julia (ex-chargée de communication pour un distributeur d’alcool) joue un rôle : « Lorsqu’on est issu d’une immigration assez récente comme ça peut être le cas pour les Asiatiques, les parents poussent pour que l’on fasse de grandes études ». 

Mais un argument qu’Ingrid contre balance :  « Oui la culture joue un rôle. Mes parents voulaient que je fasse de grandes études de médecine. Mais c’est moyennement une excuse, si tu as vraiment envie de le faire, tu peux le faire. En Asie, il y a des bars à cocktails avec des barmen asiatiques.
Il y a 20 ans, c’était les métiers manuels VS les métiers intellectuels, mais aujourd’hui les choses changent. Si tu as vraiment envie, ce n’est plus impossible. »

Wendy nous cite à cette occasion une phrase que son père lui a soufflée plus jeune : « En temps que noir, on devra toujours travailler deux fois plus que les blancs. Mais il faut savoir aussi se poser les bonnes questions et ce n’est pas car je suis noir que je suis moins mis en avant. Mais est-ce que je travaille suffisamment et est-ce que je fais ce qu’il faut pour ? »

D’ailleurs, est-ce les marques n’ont pas un rôle à jouer également ?

Côté annonceur, il reste certainement des choses à faire. Y a-t-il beaucoup de barmen issus de minorités poussés dans les campagnes de marques ? Julia nous précise : « Dans mon ancienne boîte, il n’y a jamais eu de problème de racisme. Mais au niveau de la diversité, on était à côté de la plaque. On dit de regarder notre belle diversité, mais on ne parle que de diversité européenne. Au début, ils ne prenaient pas conscience de la représentation dans les communications. On te parlait des pays des Caraïbes, de la musique, et on m’envoyait un mapping d’influenceurs avec que des blancs…». 

Pour Carole, le souci s’est aussi présenté, mais différemment : « À un moment, j’étais Community Manager pour La Mezcaleria, et j’étais amenée à côtoyer beaucoup de marques et d’influenceurs. Je ne sais pas si c’était car j’étais jeune, femme ou black, mais certains ne voulaient pas me parler et préféraient parler au chef de bar… mais de façon discrète, car il y avait tout de même l’image de leur marque qui était en jeu. »

Des choses à faire évoluer.

Il y a beaucoup de choses encore à creuser sur ce sujet tant complexe. Beaucoup de personnes à interviewer sur le sujet. En espérant que cet article permettra à certains de prendre conscience que tout n’est pas encore parfait. Mais comme d’habitude, rien ne bougera si bartenders, marques, medias et associations de barmen ne se mobilisent pas ensemble sur ce sujet…

Author

Fondateur de ForGeorges - plus de 1 000 bars testés à travers le monde - prend autant de plaisir à tester un nouveau bar, que déguster un spiritueux ou un verre de vin en bonne compagnie ! Spécialiste de la loi Évin et dénicheur de bonnes idées et innovations pour les marques d'alcool ! Son cocktail préféré ? Tous à partir du moment où ils font passer un bon moment (mais ne crache jamais sur un old fashioned bien réalisé ! ). Auteur des livres : Le Whisky C'est pas Sorcier, Le Rhum c'est pas sorcier et Les Cocktails c'est pas Sorcier, aux éditions Marabout et traduits en plusieurs langues (Anglais, chinois, japonais, russe, italien, néerlandais...) Auteur des livres : Le Whisky C'est pas Sorcier, Le Rhum c'est pas sorcier et Les Cocktails c'est pas Sorcier, aux éditions Marabout et traduits en plusieurs langues (Anglais, chinois, japonais, russe, italien, néerlandais...)

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