Toutes les routes mènent au bar. On peut avoir commencé une carrière comme ingénieur dans l’horlogerie et, après une reconversion, s’éclater comme un gamin derrière un bar. La preuve vivante ? Cyril Pereira Rodrigues, responsable d’exploitation du bar à cocktails Society à Annecy. Un amoureux des bons breuvages autant que des bons jeux de mots et qui ne ratent pas une occasion de le démontrer.

Cyril, quel est ton parcours ?

C’est un parcours un peu atypique parce que je suis ingénieur en micro-mécanique, dans l’horlogerie. Ensuite, j’ai travaillé dans différents corps de métiers, dans le médical et dans l’environnement. Puis, j’ai fait une moitié de burn-out pendant le Covid et j’ai tout arrêté.

J’ai toujours eu envie d’avoir un bar, sauf que je n’avais jamais fait ce travail. Je ne voulais pas me lancer bêtement là-dedans, donc j’ai commencé par une formation à Lyon, à la Barman Academy, avec un CQP par alternance pendant 1 an. 

J’ai fait les premiers mois au 27 Madeleine, un bar-restaurant qui fait de l’envoi avec une énorme terrasse de 300 places.  Je suis vite passé responsable là-bas, mais ça ne faisait pas assez de cocktails à mon goût. Maxime de Cigale à Lyon a bien voulu me prendre sous son aile et j’ai fini la formation avec lui.

C’est là que j’ai commencé à faire des concours qui m’ont poussé à aller de l’avant. J’ai même fini le CQP en major de promo, bon on n’était pas beaucoup, on était six (rires). Plus jamais je ne retournerai derrière un bureau.

Et ensuite tu as enchaîné à Annecy.

Je me suis fait remarquer par Ninon, quand elle était dans mon jury d’examen.

Je lui avais fait un cocktail avec un cordial de safran, mattei rouge, thym flambé à l’absinthe, et du bombay premier cru. Elle a kiffé et m’a demandé de venir faire un essai au Society, où j’ai été embauché. J’ai fait 6 ou 7 mois en barman et désormais je suis responsable du bar. 

Photo Carton Production

Si tu avais suivi tes rêves d’enfant, tu serais devenu quoi ?

Je pense que je serais devenu militaire, mais que je serais revenu sur mes pas.

C’était l’objectif de base, devenir chasseur alpin, et suite à un accident de moto je n’ai pas pu.

Mais suivre trop d’ordres ça ne me plaît pas, du coup je pense que j’aurais quand même fini dans le bar. 

Quelles sont tes sources d’inspiration aujourd’hui dans le monde du bar ?

Je fais beaucoup par rapport à la cuisine. Par exemple, quand je goûte quelque chose, si ça me plaît, je vais essayer de le reproduire en version cocktail.

Par exemple, j’ai fait un cocktail que j’ai appelé Espina Dorada. Quand j’étais au Mexique, j’ai visité une mezcaleria artisanale, elle m’a fait goûter un bonbon qui était excellent. C’était un hibiscus trempé dans du miel avec des épices. J’ai voulu le reproduire en cocktail et ça marche bien : Patrón infusée à l’hibiscus, sirop d’agave, solution acide et un rime de piment de Cayenne sur le côté.

Tous les voyages que je fais me donnent des idées de twist de classiques. Car la gastronomie regorge de choses merveilleuses, c’est une source inépuisable.

Est-ce que ta formation d’ingénieur t’est utile aujourd’hui ?

Elle m’est utile pour la partie finance, gestion des stocks ou encore planning, mais pas sur la partie création cocktail en elle-même. 

Quelle est la facette qui te plaît le plus dans ce métier ?

Ça reste être derrière le bar. C’était ma condition pour prendre le poste de responsable, seulement si j’étais au bar quelques soirs par semaine. 

Pour toi, un bon bartender c’est … ?

C’est quelqu’un de convivial, qui sait expliquer aux clients les produits, et qui peut faire du conseil pour trouver parfaitement le bon ingrédient ou le bon spiritueux pour la personne.

Par exemple, quand je travaillais à Cigale, on avait 150 gins différents. L’objectif c’est de discuter avec les gens. La personne arrive et dit qu’elle n’aime pas le gin. Et à la fin de la soirée, elle a goûté trois gins et a aimé les trois.  Moi ce que je kiffe c’est ça.

Parles-nous du Society où tu exerces actuellement. 

C’est un établissement qui a fêté ses 2 ans cet hiver, début décembre. À la base, c’était un bar prévu pour être généraliste.

Sauf que le cocktail a pris tout de suite, il y a eu une énorme demande à Annecy, et du coup la station d’appoint s’est transformée en deuxuième station de cocktail. Et là il faudrait presque une troisième station d’appoint pour faire tout ce qui est gin to et softs, parce qu’on est blindés tous les soirs, et les week-ends. 

Quelle est la clientèle du bar ? 

Nous avons beaucoup de locaux, mais aussi beaucoup de Suisses qui viennent, mais je les considère presque comme des locaux. Nous avons aussi des touristes, de plus en plus, parce qu’avec les avis Google ça attire pas mal de monde.

Comment décrirais-tu la scène cocktail à Annecy ?

Elle se résume à trop peu de bars par rapport à la demande. Mais elle est bien : tu as la Queue du coq qui est un peu le pilier central. Tu vois, c’est un peu le tonton Alex. Quand il vient à chaque fois, j’ai envie de lui faire goûter nos liqueurs maison, nos sirops, nos créations. Son retour est hyper important pour moi.

Tu as aussi quelques petits bars qui, comme nous par exemple à la base, qui n’étaient pas spécialisés en cocktails, où la demande est tellement importante que ça devient plus imposant.

Il pourrait y avoir encore deux, trois autres bars à cocktails, vraiment spécialisés en cocktails.

Si on parle de ta carte…

La carte vient de changer, nous en faisons une par saison pour suivre vraiment les épices, les saveurs, les produits de chaque saison. Quatre sans alcool, huit créations et deux classiques revues.

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Quels sont vos best-sellers ?

Alors, le best-seller de la carte d’aujourd’hui, c’est Mononoké, comme la princesse, avec de la liqueur Yuzu Maison, sirop d’hibiscus et riz torréfié maison, solution acide et gin infusé au riz.

Et l’Espresso Martini, chez nous, c’est un truc de fou. Je n’en ai jamais vendu autant. Je passe presque un bib de 5 litres d’Algebra par mois. 

Quelle est la balance entre accessibilité et cocktail de niche ? 

On a tâtonné au début pour ne pas être trop clivant. On faisait une clarification avec pain de mie toasté, tomates confites, ce genre de saveurs que moi, je peux adorer, mais qui était un peu trop clivant.

Désormais, nous avons trouvé un bon équilibre, on tend de plus en plus vers des cocktails un peu plus poussés, et à chaque fois, on essaie de mettre au moins une saveur que les clients ne connaissent pas.

Ce que je dis à l’équipe, parce qu’on fait tous des créas, c’est qu’il faut qu’il y ait au moins un ingrédient pointu, mais il ne faut pas qu’ils soient tous complexes. Il faut également que tous les spiritueux soient représentés.

Après, on fait aussi des classiques ou des créations sur mesure, sauf les week-ends (pour les créations car trop de monde).

Vous avez aussi une énorme section Gin & Tonic

Oui, il y a 23 GinTo et quatre Spritz différents et on va aussi proposer un spiritueux du moment pour inciter les gens à découvrir des spiritueux qu’ils ne connaissent pas forcément. 

Comment choisis-tu les compétitions de bartenders auxquelles tu participes ?

Le thème et les marques. Il y a des concours que j’ai vus où le thème m’intéressait énormément, mais lié à des marques dont je n’aime pas trop l’identité.

Et le temps également car il faut beaucoup de temps pour préparer un concours…

Justement, comment choisis-tu les marques avec lesquelles tu travailles ?Quels critères prends-tu en compte ?

J’essaie de me renseigner sur le niveau éthique… Et la qualité du produit. Comme la liqueur de café : on travaille avec Algebra. En prenant Algebra en bib, ça me revient quasiment au même prix qu’avec notre ancien produit, mais surtout on privilégie la qualité.  Nous avons des cocktails qui sont assez chers, mais on met une liqueur de café premium, une vodka premium. Le café, on le fait à l’italienne en début de service.

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Tu es aussi ambassadeur local pour Algebra ? Quel est ton rôle pour la marque ?

Algebra appelle cela des “city farmers”, parce que nous, nous ne sommes pas vraiment des ambassadeurs dédiés qui ne font que ça.

Nous sommes tous des barmans qui travaillons dans des établissements. Si, par exemple, je vais boire un verre chez des copains qui ont un bar à cocktail, la prochaine fois je vais emmener la bouteille et je vais faire tester le produit 

Vu que c’est une belle marque, je n’ai même pas besoin d’en faire trop…C’est la liqueur de café la moins sucrée au monde, elle est à 100 grammes/litre, à base de distillat de rhum. Le café est acheté uniquement à des collectivités et il est acheté bien plus cher que le prix du marché. Et ils ont même une version déca. 

Quel est ton cocktail coup de cœur du moment ?

En fait, ça dépend de mes humeurs. J’aime bien les trucs bien dry. Un boulevardier, mais avec du vermouth dry  Ou alors, à l’inverse, des trucs très frais comme la Paloma. C’est tout l’un ou tout l’autre.

Le cocktail que tu aurais rêvé d’inventer ?

Le Sazerac. Il est sans prétention, pas de garnish à part le zeste qui n’est même pas exprimé. Il n’y a pas de glaçons. Tu travailles l’absinthe, et moi, j’adore bosser l’absinthe, vu que je suis franc-comptoir, c’est peut-être un peu chauvin.

Et ta création dont tu es le plus fier ?

Je pense que c’était le cocktail que j’avais fait pour le concours Patrón l’année dernière : le Juralisco. Il fallait intégrer des ingrédients du Mexique et des ingrédients locaux. J’avais fait un sirop miel cacao. Donc, miel du Jura avec cacao qui vient de là-bas. J’avais mis du verjus, et de la tequila Patròn silver, et du savagnin, un vin jurassien qui a des notes de noix.

J’avais vaporisé de l’absinthe dans le fond du verre. Par-dessus, je mettais un demi carré de chocolat à la fleur de sel pour rappeler le côté sel de la margarita de base et le cacao qui allait avec le sirop.

Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour l’année à venir ?

Que tous les projets aboutissent, et que ça continue de rouler comme ça. Tout va bien comme ça. Je suis trop content.

Un mot de la fin ?

Merci, Micka. Et puis, salut !

Author

Fondateur de ForGeorges - plus de 1 000 bars testés à travers le monde - prend autant de plaisir à tester un nouveau bar, que déguster un spiritueux ou un verre de vin en bonne compagnie ! Spécialiste de la loi Évin et dénicheur de bonnes idées et innovations pour les marques d'alcool ! Son cocktail préféré ? Tous à partir du moment où ils font passer un bon moment (mais ne crache jamais sur un old fashioned bien réalisé ! ). Auteur des livres : Le Whisky C'est pas Sorcier, Le Rhum c'est pas sorcier et Les Cocktails c'est pas Sorcier, aux éditions Marabout et traduits en plusieurs langues (Anglais, chinois, japonais, russe, italien, néerlandais...) Auteur des livres : Le Whisky C'est pas Sorcier, Le Rhum c'est pas sorcier et Les Cocktails c'est pas Sorcier, aux éditions Marabout et traduits en plusieurs langues (Anglais, chinois, japonais, russe, italien, néerlandais...)

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