Les réseaux sociaux ont envahi nos vies personnelles et professionnelles. Mais quels usages en font les bartenders en 2023 ? Pour cela, ForGeorges, en collaboration avec Social Shake par Bacardi Martini France, a interviewé trois bartenders français, aux points de vue différents, pour comprendre et dérober leurs secrets. Aujourd’hui, c’est Camille Thouin, propriétaire du Code Bar à Strasbourg qui nous explique sa stratégie.
Ton établissement le Code Bar est présent sur quels réseaux sociaux ?
Dès le départ, nous avons créé un compte Facebook. Un peu plus tard, nous avons ouvert la page Instagram, mais qui a vraiment été reprise en main il y a quelques années seulement.
Ce sont des outils qui ont été importants pour te faire connaître auprès de ta clientèle ?
C’est un outil qui m’a surtout permis de montrer ce que nous faisions au Code Bar au reste de la France, et plus principalement à Paris. Sans cela, nous serions restés under cover.
Pour la clientèle, c’est plus la qualité de ce que nous proposons qui a permis de nous faire connaître : la sympathie, l’accueil, le souci du détail lors du service, la recherche et développement sur les cocktails, et le large choix de spiritueux que l’on propose.
Nous avons toujours eu ce positionnement d’être un mix entre un bar de palace et un bar de nuit. Je suis hyper rigoureux sur des rituels de service avec des codes instaurés par l’hôtellerie de luxe, mais de façon décomplexée avec de la musique, de l’humour etc.
Est-ce que tu réussis justement à le retranscrire via les réseaux sociaux ?
Je ne pense pas, car on parle de ressenti. Les réseaux sociaux permettent aux gens de dire “tiens, j’ai envie de voir ce que c’est”. C’est visuel, on peut jouer avec les textures, les couleurs et les verreries pour créer un produit marketé, pour susciter l’envie.
Mais la qualité de service et l’ambiance sont de l’ordre de l’umami et qu’on ne réussira jamais à retranscrire via de l’image. J’ai cette problématique en termes de communication : je travaille avec des photographes et des vidéastes mais quand je regarde le résultat, je me dis que ce n’est pas le Code Bar. Et je pense qu’on n’y arrivera jamais, car nous ne sommes pas une boîte de nuit, avec des codes qui vont avec. C’est un moment qui se vit et tu ne peux pas l’expliquer via une photo ou une vidéo.
Pour la création de contenus, comment gères-tu cette partie ?
J’ai deux masters. Un en gestion des entreprises et un en communication et marketing, donc je m’occupe moi-même de cette partie mais c’est un enfer pour moi alors qu’on a du contenu, des infos à faire passer. J’ai toujours eu de la réticence vis-à-vis de la communication abusive. Je sais que c’est primordial en 2023. Alors, nous réfléchissons à trouver un indépendant pour gérer cette partie : remonter les stats, savoir quand poster, avec quel ciblage et une cohésion graphique pour avoir un insta beau, cohérent et intéressant.
Combien de temps y passes-tu ?
Je fonctionne en plan média : lorsque nous sortons une carte, nous faisons le shooting de tous les cocktails avec un photographe.
Je tanne mes équipes pour qu’ils créent du contenu, mais ils s’en tapent. Ils préfèrent largement passer 45 minutes sur un clear Milk que de passer le même temps à faire une belle photo avec le bon angle, la bonne lumière. Dans nos personnalités, nous n’avons pas de star tender, ou de gens qui vivent une deuxième vie digitale. Ils s’épanouissent dans la vraie vie mais ne le déballent pas sur les réseaux sociaux.
Donc quand je vois que ça fait 5 à 6 jours que nous n’avons rien publié, nous nous mettons à faire une photo qu’on publie dans la foulée. C’est un peu comme ça que ça se passe. Mais dans l’ensemble, on communique mal : par exemple on a fait plein de très belles places à des concours de bartenders dans le passé, mais on n’a jamais communiqué dessus. Alors que ça dynamise l’établissement et le bonhomme, et ça crée donc un cercle vertueux. Nous aurions dû comprendre l’intérêt du positionnement sur les réseaux sociaux bien plus tôt.
Et niveau budget ?
Il change tout le temps, de mois en mois. Quand ça nous apporte un intérêt, on met de l’argent, sinon non. On sponsorise de temps en temps sur les réseaux sociaux, mais j’ai l’impression de faire la manche aux likes quand je fais ça… même si je comprends l’intérêt d’être visible sur les réseaux.
As-tu déjà testé la vidéo ?
C’est mon axe de réflexion en communication pour 2023, car j’ai vraiment envie d’en faire. Mais à Strasbourg, je ne trouve pas les bonnes personnes qui maîtrisent le sujet, sans me demander des sommes exorbitantes, et qui comprennent ce que l’on recherche.
Quelle est ta stratégie pour les stories ?
Je n’ai pas été élevé sur les réseaux sociaux, ce qui fait que je maîtrise mal l’outil. Je suis un peu un vieux con : j’ai découvert il y a six mois comment faire un GIF ! Donc je reposte ce que les gens postent en story. Et sinon, on fait une succession de photos avec les infos lors de nos guests, mais il n’y a pas vraiment de stratégie.
Avec quel matériel ?
On fait ça au téléphone. Nous ne sommes pas équipés avec du super matériel qui permettrait de faire de magnifiques prises de vues…
Depuis l’apparition des réseaux sociaux, est-ce que ta façon de créer des cocktails a évolué ?
Non, nous sommes ouverts sept jours sur sept, de 18h à 4 heures. Le menu, c’est l’interaction avec le client que tu as au quotidien qui l’influence. Ensuite, nous le montrons sur les réseaux sociaux, car ce n’est pas Instagram qui paie le loyer. Le client est au centre de notre établissement, et de la réflexion sur la création de cartes. Nous ne faisons pas de cocktails pour qu’un mec de Kuala Lumpur like notre photo ! Ce n’est pas lui qui viendra consommer au bar.
Quels bénéfices tires-tu d’être sur les réseaux sociaux ?
Cela me donne de la visibilité et de la crédibilité sur le marché. Nous sommes dans un milieu politique qui a des répercussions sur les concours, les classements, les invitations, et même les subventions. Le marché favorise les personnes qui ont le plus d’auras sur les réseaux sociaux. Pour paraphraser Sacha Guitry “en bien ou en mal, l’important c’est que l’on parle de toi”. Aujourd’hui, c’est toujours d’actualité.
Est-ce que les réseaux sociaux te servent de lien avec tes clients ?
Nous sommes contactés par ce canal par les étrangers qui veulent réserver. Nous sommes désormais dans le Top500 Bars. Les français s’en fichent mais pour les allemands, les suisses, les luxembourgeois, ou encore les américains sont plus sensibles à ces classements.
Mais le vrai lien avec les clients, c’est vraiment quand ils sont au bar.
Quel rapport as-tu avec les autres plateformes comme Trip Advisor ?
Nous sommes numéro 1 sur Trip Advisor sur Strasbourg depuis 2014, sur Google, on est à 4.9 de moyenne sur 500 avis. Souvent je me pose la question, pourquoi je m’embêterais à communiquer, même si c’est très égocentrique de penser que les clients vont venir dans ton bar juste à cause de ça…
Tik Tok, Twich, tu regardes ce qu’il s’y passe ?
La multiplication de tous ces réseaux est un enfer à gérer. Mais je trouve ces nouvelles plateformes cool pour des mecs indépendants. Pas pour un établissement. Il pourrait y avoir un intérêt pour des concours ou un événement, sinon je ne vois pas l’intérêt pour un bar.
Pour Tik Tok, je crois qu’un de mes jeunes en a créé un pour le bar il y a deux ans pour délirer. Il doit y avoir une publication dessus… Si tu commences à aller sur ces plateformes, il faut jouer à fond le jeu avec les codes qui y sont liés. Ça demande un temps fou et il faudrait quasiment toujours avoir un téléphone à la main !
Si les réseaux sociaux venaient à disparaître, ça changerait quoi pour ton business ?
Qu’est-ce que cela serait bien ! Ce serait l’avènement de l’être humain !
J’ai la chance d’avoir un bar où il y a très peu de réseau. On le dit depuis toujours : ici vous êtes obligés de discuter avec la personne à côté de vous. Je ne pense pas que ça changerait grand chose à la pérennité de mon entreprise, mais nous serions plus dans notre coin. Et nous ferions sûrement moins de guests aux quatre coins d’Europe.