Un nom qui aurait pu la prédisposer à s'intéresser à un autre type de spiritueux anisé, mais pourtant, depuis 6 ans, Emmanuelle Ricard suit avec ferveur et assiduité la scène du gin québécois. Une passion qui l'a poussé sortir sa propre collection de gins. ForGeorges fait le point aujourd'hui avec elle sur la scène du gin québécois et ses... plus de 260 gins !

Quel temps fait-il en ce moment chez toi au Québec ? 

Emmanuelle Ricard : Il ne fait pas trop froid, il fait moins 3 degrés. Parce que vendredi dernier, il faisait moins 27. C'était épouvantable ! 

Quel est ton parcours pour arriver au gin ? 

J'ai toujours été inspiré par tout ce qui était lié au savoir-faire. Je n’ai pas suivi le parcours traditionnel québécois pour ce qui est de la scolarisation. Mon premier grand travail a été pour un bijoutier, une famille alsacienne établie au Québec depuis des décennies, maître horloger et Meilleur Ouvrier de France qui avait travaillé chez Cartier notamment. J’ai été mise en relation avec la notion de savoir-faire, que l’on n’a pas tant que ça au Québec étant donné que l’on est un jeune pays. Ici, les bijoutiers sont généralement plus des vendeurs que des gens qui font… J’ai travaillé pour eux très longtemps à la vente, mais aussi en étant intermédiaire pour les commandes personnalisées.
Après, je suis partie dans le domaine de la fourrure. Je faisais les dessins pour les créations sur mesure des cliente, où j'ai énormément appris sur la conception de collection et sur la prospective des tendances.
Puis j’ai mixé les deux univers en me lançant dans la bijouterie fantaisie et ça m'a amené à créer un blog pour expliquer ma démarche de création. Je me suis mise à aller voir des gens que j'appréciais et qui faisaient des métiers intéressants et je me suis retrouvée à parler de gins. Ça a été un grand succès. Quand j'appelais pour avoir des interviews avec les gens, ils disaient “ah oui, c’est la madame du Gin”. 

Au Québec, beaucoup de personnes qui se lançaient dans la distillation sur le marché du gin étaient des secondes carrières pour des médecins, ou des chimistes. Donc, j'ai été très bien reçue, car toute l’industrie débutait ensemble, il y a 6 ans  !  

Je dis tout le temps : un gin, c'est comme un ami. Tu ne vas pas faire les mêmes choses avec les mêmes amis. Tu fais des choses différentes et c’est ça qui est magique dans le gin. C’est un alcool de convivialité et de simplicité.

Qu’est-ce qui t’a plu dans le gin ? 

Comme j'avais déjà toute une nation du savoir-faire et des étapes, je voyais dans leurs visages que je comprenais des choses qu'ils avaient tellement de difficultés à expliquer aux autres. Je me suis sentie à ma place tout de suite. Il y a aussi tout un côté de transformation, très rapproché de la nature, et ça m'enchante énormément !

En ce moment, quelle est ta façon préférée de déguster du gin ? 

Pur ! Je ne me suis jamais forcée à ça parce que je n’ai pas une attirance énorme pour la bière ou le vin. Deux gorgées me suffisent. Alors que j'ai un plaisir fou à découvrir les saveurs dans un spiritueux, ça me fascine toujours ! 
Mon père a fait sa formation en Europe. Même très petit, il me faisait goûter un peu de vin et de bière. On mangeait différemment à la maison. J’ai eu un parcours des saveurs atypiques pour un québécois. L’eau-de-vie était présente à la maison bien avant que ça arrive chez mes amis. 

Quand tu as fait ta tournée d'autres créateurs pour le blog, tu as dû rencontrer des producteurs d’autres spiritueux que le gin ? 

Tout ce qui est spiritueux vieillit, je commence à comprendre. Mais tout ce qui est botanique, fleur,  plante, c’est ça qui me porte vraiment ! Ce n’est pas du tout le même rapport ! 

En France, il y a vraiment une fureur autour du gin. Est-ce que c'est pareil en ce moment au Canada ? 

Oui, mais on commence à sentir un essoufflement. Ici, il y a eu une frénésie de saveur avec des goûts de bonbons. Les gens veulent revenir vers quelque chose d'un peu plus classique, de qualité on dirait que tous ceux qui surfait sur la mode du gin sont en train de quitter vers les rhums. Et maintenant on retrouve un consommateur qui recommence à rechercher de la qualité, du vrai. 

Quel style de gin est le plus populaire au Québec ? 

Le plus grand vendeur au Québec est De Kuyper. Après, on a Bombay Sapphire, Gordon. Et après, tu as les grands vendeurs de goût, avec des choses très synthétiques. Tu as aussi Ungava, qui appartient désormais à Pernod-Ricard.
Le marché est vraiment en mouvance en ce moment entre le nettoyage des marques "bonbons" qui sont en train de perdre de la popularité, et les beaux gins naturels qui comment à avoir une place et être appréciés. Pour le petit marché que nous sommes au Québec, nous avons 260 gins de microdistilleries en 6 ans !   

Par rapport à d'autres spiritueux comme le whisky ou même le rhum, où se situe le gin ?

Le gin a pris le dessus depuis le départ  : les nouvelles distilleries du Québec qui se sont construites sur les 5 dernières années ont comme objectif de faire du whisky.  Mais le vieillissement obligatoire du whisky au Canada est de 3 ans et il faut faire rentrer de l’argent. Donc c'est le gin et la vodka qui fait entrer l’argent…  La pandémie aussi a fait en sorte que la consommation locale a pris vraiment de l'importance au Québec. 

Sur Internet, on peut croiser régulièrement des Québécois qui râlent avec le principe de distribution au Québec via la SAQ. Peux-tu nous expliquer un peu mieux comment ça fonctionne ? 

Au Québec, il n'y a rien de privé au niveau de la distribution. La SAQ est un organisme gouvernemental provincial. Je connais donc très peu les produits Canadiens parce qu'il y a cette espèce de frontière hermétique entre l'Ontario et le Québec. Il n'y a pas si longtemps, quand on traversait des frontières avec de l’alcool, on pouvait avoir de grandes amandes. 
Parce qu'à l’époque de la prohibition, le Québec n’y était pas soumis, mais le reste du Canada oui. Donc on a fourni beaucoup de bootleggers. Une distillerie peut vendre 10$ une bouteille à la SAQ qui la revend à son tour autour de 45$. 

C’est énorme ! 

Et même si on vend en direct à la distillerie, ils nous prennent quasiment le même montant ! Donc en ce moment les distilleries vendent presque à perte ! 

Tu as également lancé ta propre gamme de gins. 

J’ai créé une gamme qui couvre toutes les saveurs. J'ai donc les agrumes avec le Rosemont Madame original qui est axé sur la clémentine - orange confite - cardamome - genièvre. C'est toujours quelques aromates. Ensuite, j'ai le Rosemont Madame Gin Amour qui est chocolat, vanille, bergamote. Et le coffret autour des quatre saisons avec uniquement des aromates du Québec ! 

Quelle a été la genèse de ce projet ? 

Lors de mes tournées de distilleries, quand je suis arrivée à la distillerie de Montréal, j’ai rencontré Lilian Wolfelsberger, qui est un alsacien dont la famille distille depuis plus de 5 générations du côté de sa maman ! Donc bing, coup de coeur savoir-faire ! 
Et comme je parlais des gins de tout le monde, souvent des gens me disaient que je devais lancer les miens ! Mais j’avais peur d'être bloqué à ne parler que des miens, et surtout je voulais encore apprendre ! Mais avec la rencontre avec Lilian, je me suis dit que je pourrais faire un gin de Noël, qui ne sortirait qu’à Noël et dont je ne parlerais qu’à cette période-là ! 
Nous avons commencé ainsi, mais le gin de Noël était trop difficile, avec la SAQ, pour le faire sortir à Noël seulement…   Pour des raisons logiqtiques, on s'est vite rendu compte qu’on n'y arriverait pas. C'est là que c’est devenu le Rosemont Madame Gin Original.

C’est une recette que l’on fait en collaboration avec Lilian Wolfelsberger bouilleur de cru de la Distillerie de Montréal. Tout à une signification pour nous autour de souvenirs communs : au Québec, la clémentine arrive vraiment avant Noël. L’orange confite est liée aux personnes âgées qui disent aux enfants “nous quand on était petit, on avait qu’une orange dans notre bas de noël". Un lien avec les autres générations. La cardamome, c’est par rapport aux vins chauds dans les marchés de Noël. Et nous voulions surtout des choses qui n’existaient pas parmi toutes les références disponibles au Québec. Pour le chocolat, je voulais quelque chose de raffiné, donc nous sommes partis sur la bergamote. Et tout est fait avec un alambic à repasses. 

Et comment se passe le vieillissement pour ton gin vieilli ? 

Pour la version vieillie, nous sommes partis de la version qui devait être le gin de Noël et on a poussé à fond le concept ! On l’a vieilli dans des fûts de châtaigniers neufs ! 

Tu as testé des centaines, ou milliers de gins, tu as eu des choses qui t’ont interpellé récemment ? 

Pigskin gin

Pour ce qui est de l’international, j’aime beaucoup le pigskin de Silvia Carta qui vient de Sardaigne ! J’aime beaucoup aussi le Orbium de Heindrinks. Dans les gins français, un de Camargue qui s'appelle Bigourdan ! Mais c’est compliqué pour les avoir au Québec, donc heureusement j’ai une amie qui voyage énormément et qui me les ramène. 

Si tu devais décrire un bon gin ? 

Pour moi, il n'y a pas besoin d'être techniquement parfait ! J'ai besoin d'avoir une personnalité bien à lui. Je dis tout le temps : un gin, c'est comme un ami. Tu ne vas pas faire les mêmes choses avec les mêmes amis. Tu fais des choses différentes et c’est ça qui est magique dans le gin. C’est un alcool de convivialité et de simplicité. Il n’y a pas les mêmes codes que dans le whisky. C’est le voyage, c’est l’histoire. C’est la volonté artisanale qui me transporte. Je suis ouverte à toutes les saveurs, même aux choses qui goûtent un peu bizarre !  
Là où on me perd, c’est quand on fait un gin pour des raisons financières, et où il n’y pas d'amour là-dedans !

Est-ce qu'un jour avoir ta propre distillerie pourrait faire partie des objectifs ? 

Non, parce que je suis au courant que la distillation demande une maîtrise chimique et mathématique qui n’est pas faite pour mon cerveau ! J’adore en parler, j'adore être la courroie de transmission, j'adore m'impliquer au niveau des saveurs. Je vais faire beaucoup d'autres créations au niveau des images au niveau du marketing, mais pas de la production. 

Tu fais des ateliers, tu as ta boutique en ligne…  Tu as encore le temps d'écrire ? 

Ça va devenir de plus en plus compliqué. Mais en ce moment je suis en train d'écrire un livre pour expliquer comment faire son gin à la maison par macération tout simplement. C'est traditionnel et ça existe depuis toujours et je suis toujours épatée par les résultats que l’on peut obtenir. Je voulais explorer tout le côté boréal ici au Québec, et les gens sont fascinés de voir qu’ils pourraient faire exactement le même gin qu'ils pourraient faire en Russie ou en Suède que parce que les ingrédients sont les mêmes ! C’est prévu pour Noël prochain ! 

Qu'est-ce qu'on peut te souhaiter pour 2023 ? 

Je suis en train de prendre un grand virage, en m'associant plus avec la distillerie de Montréal pour m’occuper des autres produits. Financièrement, mon modèle d'affaires Madame Gin est arrivé à une limite.  Je ne peux plus aller chercher plus de potentiel, je ne peux plus progresser ou avancer. Donc ça m’ouvre mes champs créatifs, car c’est ma motivation. Donc que cette association parte sur un bon pied et que ça progresse pour tout le monde ! J’ai la chance d’avoir des communautés très agréables, très vivantes qui me suivent bien ! 

Pour suivre Madame Gin :

https://madameginblog.blogspot.com/
https://www.facebook.com/MadameGinBlog/
https://www.instagram.com/madameginblog/

Author

Fondateur de ForGeorges - plus de 1 000 bars testés à travers le monde - prend autant de plaisir à tester un nouveau bar, que déguster un spiritueux ou un verre de vin en bonne compagnie ! Spécialiste de la loi Évin et dénicheur de bonnes idées et innovations pour les marques d'alcool ! Son cocktail préféré ? Tous à partir du moment où ils font passer un bon moment (mais ne crache jamais sur un old fashioned bien réalisé ! ). Auteur des livres : Le Whisky C'est pas Sorcier, Le Rhum c'est pas sorcier et Les Cocktails c'est pas Sorcier, aux éditions Marabout et traduits en plusieurs langues (Anglais, chinois, japonais, russe, italien, néerlandais...) Auteur des livres : Le Whisky C'est pas Sorcier, Le Rhum c'est pas sorcier et Les Cocktails c'est pas Sorcier, aux éditions Marabout et traduits en plusieurs langues (Anglais, chinois, japonais, russe, italien, néerlandais...)

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