Les spiritueux sans alcool (spirit free) connaissent un boom considérable dans le monde, et commence à arriver en France. Beaucoup de marques tentent de se faire une place sur ce nouveau marché, mais une ressort régulièrement dans les back bars des établissements : Djin !
Djin est le premier spiritueux sans alcool français, obtenu via une technique brevetée. Impossible de ne pas interviewer son créateur : Romuald Vincent.

Romuald Vincent Djin

Quel est ton parcours ?

Il est un peu long et tortueux, mais je vais essayer de résumer ! Normand d’origine, je suis architecte HMONP et designer de formation, métiers que j’ai exercés pendant presque 10 ans, d’abord en Bretagne puis sur Paris. Il y a 5 ans, à la mort de mon grand-père, j’ai décidé de relancer sa production viticole en revenant au village de Saint-Brice en Charente d’où ma famille paternelle est originaire. Je souhaitais lui rendre hommage en perpétuant la tradition et la passion des vins de plantes qu’il m’avait communiquée étant gamin. Je suis alors devenu liquoriste en me formant sur le tas auprès d’anciens et de gens du cru. Ce qui m’a permis de sortir assez rapidement une première cuvée et de commencer à la faire connaître en dehors du village.

Progressivement, par le biais des rencontres que j’ai pu faire et des nombreux échanges qui ont nourri le projet, j’en suis venu à m’intéresser à d’autres techniques de production, d’autres aspects historiques du village qui m’ont alors conduit à relancer une production artisanale de vermouths d’abbaye. Le projet du Djin a démarré quant à lui il y a un peu plus d’un an en parallèle. Là encore tout a démarré d’un échange lorsqu’un ami barman s’est plaint de ne pas avoir de véritables alternatives aux spiritueux dans la création de cocktails sans alcools. Ça m’a interpellé et je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire !

Avec une histoire familiale liée à l’alcool, pourquoi t’être orienté dans le sans alcool ?

Étrangement, même si l’alcool occupe une place importante dans l’histoire de ma famille, pour moi, je pense que ce sont surtout les plantes et les techniques d’extraction (à la fois aromatique et de leurs principes actifs) qui prédominent et qui constituent le véritable fil conducteur de mon parcours de producteur jusqu’au sans alcool. En tout cas c’est ce qui me motive.

En outre, je ne pense pas qu’il soit absolument nécessaire d’opposer les deux courants, même si cela peut paraître un peu schizophrène au premier abord de se lancer dans le sans alcool quand on vient de l’univers des eaux de vie. Personnellement, ce qui me motive dans mon travail, c’est que les gens prennent autant de plaisir à déguster mes cuvées, que j’en ai eu à les élaborer. Et de ce point de vue là, je conçois le sans alcool avec le même niveau d’exigence et d’expertise que j’ai avec mes autres productions. J’ai à la fois le regard d’un praticien et d’un consommateur, qui plus est avec un outil de comparaison. On peut critiquer autant qu’on veut l’alcool, il n’empêche que celui-ci (le bon) possède des qualités organoleptiques de dégustation qui sont juste indéniables. Pour moi, tout le challenge consistait donc à trouver les bons outils et la méthode pour les restituer sans l’éthanol. Et de ce point de vue, je pense que cela ne peut que contribuer à crédibiliser le segment.

Enfin, je me dis qu’il y a un joli parallèle avec la veine d’épine noire, originellement créée par mon grand-père pour ma grand-mère qui ne supportait pas trop l’alcool. Même si le Djin n’est pas dédié à une personne en particulier, je suis convaincu qu’un certain nombre de consommateurs (et d’épicuriens) peuvent s’y retrouver. Le moment de l’apéro pour moi, c’est surtout de la convivialité et je pense sincèrement qu’on peut se réunir autour d’une table et passer un bon moment avec et sans alcool (voir les 2 dans l’idéal) !

Djin spiritueux

Combien de tests / recettes as-tu élaborés avant d’arriver à celle actuellement sur le marché ?

Je dirai une bonne cinq-centaine… Je suis assez perfectionniste ! La technique est innovante et j’ai pour habitude de travailler de façon assez empirique donc ça a nécessité pas mal d’allers-retours, que ce soit dans le perfectionnement des outils de production, les dosages ou encore la formulation.

Comment décrirais-tu Djin ?

C’est un spiritueux sans alcool dans son approche. Étymologiquement maintenant je préfère parler d’un esprit-de-plantes (il en contient plus d’une vingtaine d’ailleurs), distillé « à la manière » d’un gin. Le nom Djin est un clin d’œil évident à ce dernier, mais c’est surtout pour moi un rappel à la nature arabisante du produit, du process et donc à cette notion d’esprit (déconnecté de l’alcool) et qui a existé bien avant la conception actuelle (et très récente au demeurant) en matière de spiritueux, lorsque les alchimistes moyen-orientaux créèrent les premiers alambics et commencèrent à expérimenter la distillation tous azimuts en variant les supports jusqu’à les conduire à l’esprit-du-vin qui prendra finalement la dénomination d’eau-de-vie sous la plume de Raymond Lulle.

Beaucoup de barmen ne sont pas réceptifs (voir anti) spirit free. Pourtant on voit ta bouteille de Djin dans beaucoup d’établissements. Comment l’expliques-tu ?

Je pense simplement que le travail paye. Je me suis efforcé de concevoir le Djin de la manière la plus qualitative possible et visiblement les barmen apprécient l’effort et la démarche (enfin surtout le résultat !). Après, le bouche-à-oreille fait le reste. Loin de moi la prétention que le produit plaise à tout le monde, et ce serait d’ailleurs totalement illusoire d’espérer l’être vu la subjectivité des goûts, mais je pense qu’on peut dire objectivement, qu’il offre un vrai outil de travail sérieux pour les gens que le sujet intéresse malgré tout. Dans cette optique, j’ai essayé de le faire rentrer au maximum dans le cahier des charges de la profession. Il y a un certain nombre de critères de dégustation et d’usage qui sont pour moi juste fondamentaux et qu’on est normalement en droit d’attendre d’un spirit free, comme la structure, le kick, la longueur en bouche, la tenue à la dilution, le passage au shaker, l’accroche et le développement organoleptique, sans compter les synergies aromatiques et la conservation…

Pour moi, la technique est avant tout au service de l’usage et c’est d’ailleurs pour ça que j’ai passé du temps à développer une solution innovante et pertinente d’extraction aromatique, indépendamment de l’effet « mainstream » que le sans-alcool commence à avoir dernièrement. 

Djin en cocktails

Tu as une méthode spécifique brevetée pour créer Djin, à base de solvants. Ça ne fait pas peur aux gens d’entendre le mot solvant ?

En toute franchise je ne l’ai pas ressentie jusqu’à maintenant. Certes, dis comme ça le terme peut paraître un peu « barbare », mais il convient de préciser je pense que l’eau et l’alcool, par exemple, sont eux-mêmes considérés comme des solvants d’un point de vue scientifique. L’alcool comptant d’ailleurs comme l’un des plus puissants qui soient. De manière générale, il y a un certain nombre de gaz et de matières organiques présentes dans la nature sous des formes très variées qui peuvent constituer d’excellentes alternatives dès lors qu’ils sont exposés à des températures de chauffe et de pression adéquate. En ce qui me concerne, je travaille principalement avec des acides organiques. L’idée est juste d’élargir le champ des possibles afin d’obtenir les meilleurs résultats pendant le processus de distillation. 

Djin est un substitut pour quel type d’alcool ?

Forcément davantage le gin, je dirais, surtout dans la mesure où il partage un certain nombre d’aromates classiques à l’instar du genévrier, de la cardamome, des agrumes…  Cela ne l’empêche toutefois pas d’être utilisé comme une alternative aux alcools blancs en création cocktails dès lors qu’on recherche un profil aromatique un peu plus marqué.

Avec quel cocktail faut-il absolument tester Djin ?

Wôw, la liste est longue. Chaque semaine je découvre de nouvelles créations vraiment top. Maintenant en termes de simplicité et d’efficacité et justement pour changer un peu des bases « gin » classiques, je dirai le Virdjin Daiquiri qui fait vraiment bien le job je trouve. 

Pour la suite, imagines-tu une gamme Djin ou est-ce voué à être un produit unique ?

Si la technologie le permet et que les résultats sont aux rendez-vous, j’ai effectivement en tête d’élargir la gamme dans le futur tout en gardant la notion d’esprits en fil de conducteur. Cela pourrait être l’occasion de proposer d’autres saveurs fortement liées à l’univers de l’alcool tout en continuant à explorer les synergies entre plantes. Toutefois, je préfère pour l’instant ne pas trop m’avancer là-dessus.

Quels sont les points forts de Djin par rapport à la concurrence ?

C’est un produit avec du goût, vraiment craft et travaillé, avec une histoire qui lui est propre, et j’aime à croire que ça se ressent à la dégustation. D’un point de vue purement technique maintenant, la persistance aromatique en bouche est juste incroyable, ce qui lui permet de se rapprocher des dosages type d’un spiritueux et même d’être retravaillé en association avec de l’alcool dans des cocktails Low ABV ou il va donner une vraie longueur supplémentaire.

Author

Fondateur de ForGeorges - plus de 1 000 bars testés à travers le monde - prend autant de plaisir à tester un nouveau bar, que déguster un spiritueux ou un verre de vin en bonne compagnie ! Spécialiste de la loi Évin et dénicheur de bonnes idées et innovations pour les marques d'alcool ! Son cocktail préféré ? Tous à partir du moment où ils font passer un bon moment (mais ne crache jamais sur un old fashioned bien réalisé ! ). Auteur des livres : Le Whisky C'est pas Sorcier, Le Rhum c'est pas sorcier et Les Cocktails c'est pas Sorcier, aux éditions Marabout et traduits en plusieurs langues (Anglais, chinois, japonais, russe, italien, néerlandais...) Auteur des livres : Le Whisky C'est pas Sorcier, Le Rhum c'est pas sorcier et Les Cocktails c'est pas Sorcier, aux éditions Marabout et traduits en plusieurs langues (Anglais, chinois, japonais, russe, italien, néerlandais...)

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