Avec son col bleu, blanc rouge synonyme d'un des Meilleurs Ouvriers de France , David Palanque pourrait avoir toutes les raisons du monde d'avoir la grosse tête. Pourtant, c'est tout l'inverse qu'il transpire : inspiré, inspirant, passionné par le bar, et inscrit dans la transmission auprès de ses équipes. Rencontre avec un MOF barman, qui aime vraiment le métier de barman.

David, parle-nous de ton enfance. 

Nous avons pas mal déménagé avec ma famille dans mon enfance mon père étant douanier et muté à plusieurs reprises. Je suis né à Strasbourg, avant d’emménager dans les hauts de France, puis j’ai vécu à Paris jusqu'en 2004.
Après la seconde, je me suis orienté dans une école hôtelière à Paris, l'EPMT. C’est là que j’ai fait mon apprentissage en alternance au bar du Grand Hôtel Intercontinental à Paris.
J’ai enchainé sur une année à Londres avant de revenir travailler à Paris, toujours autour de la place de l’Opéra et par la suite à Port-Royal puis dans le sud de la France. D’abord à Carcassonne, avant de rejoindre la Côte-d’Azur en 2007.

Quand as-tu souhaité devenir barman ?

C'est un peu par hasard, il y a 26 ans : je voulais sortir du parcours scolaire classique pour m'orienter sur un métier. Ma mère connaissait l'assistant chef barman du Grand Hôtel qui lui avait proposé de me prendre en apprentissage. Je n'étais jamais allé dans les grands hôtels parisiens : j'étais assez timide et impressionné par tout ce majestueux. Je ne connaissais rien mais ils m’ont laissé ma chance. J'ai fait ces deux années d'apprentissage qui m’ont permis de découvrir vraiment ce monde, ce métier et cette culture cocktail.
Avec mes premiers pourboires, je suis allé au Harry’s bar m'acheter le ABC of mixing Cocktails. Le fait d'aller ensuite à Londres et d'apprendre d'autres cocktails qui ne se faisaient peut-être pas forcément à l'époque en France m’a vraiment décidé à me lancer dans cette voie.
C'est marrant quand je regarde l'évolution depuis mes débuts : quand j'ai fait mon école de bar à Londres et que je suis revenu en France, sur les 350 cocktails que j'avais appris, je ne pouvais en faire qu’une centaine, car les produits étaient encore introuvables en France.

Comment juges-tu la scène cocktail en France ? 

Quand un consommateur commande un cocktail classique, ça reste toujours compliqué : un client va faire plusieurs bars et il ne va pas retrouver de régularité d’un établissement à l’autre. Des clients vont demander des mojitos : dans certains bars, ils vont être faits au rhum agricole. Quand ils viennent chez nous, nous le faisons au rhum cubain, le classique, l'original, donc ils trouvent parfois que le rhum ne se sent pas assez.
Alors qu’à l'international, surtout en ayant fait Londres ou les États-Unis, je trouve que c'est plus carré. Un classique est un classique. Pas 30 000 recettes. En France, on propose des classiques twistés partout, mais sans forcément préciser que c’est twisté. Malheureusement, ça brouille les pistes auprès du consommateur.

Comment ton métier de barman a évolué en 26 ans ?

Il a complètement évolué, mais il y a une seule chose qui n'a pas changé pour moi : bien conseiller le client en restant précis et rapide.
Ce qui a complètement changé aujourd’hui, ce sont les nouvelles techniques et l’importance de la mise en place dans les établissements : des préparations, des pré-mix…  À l'époque, ça ne se faisait pas : le bar était lié au charisme du barman, ou du responsable de bar, qui vous emmenait dans cette atmosphère et on vous demandait un classique. Donc, automatiquement, il fallait qu'il le connaisse. La création, ça se faisait autour de la relation avec le client : il y a une cliente, elle aimait bien la banane. On lui créait un cocktail et on lui donnait son prénom comme nom de cocktail. Et le client était content, ça lui créait une expérience sur-mesure.

Désormais, les barmen, certains barmen sont plus dans leur bulle avec leur préparation, et tout le côté technique. Ils en oublient la relation client, l’accueil et le service qui permet de mettre à l'aise le client.
Dans notre établissement, nous faisons de la qualité dans le verre, avec un service impeccable. Mais à côté aussi, le client aime bien être reconnu et avoir son expérience sur-mesure.
Ce n’est pas en expliquant des techniques qui sont incompréhensibles et un peu trop poussées pour lui qu’il va se sentir bien dans ton établissement. D’ailleurs, on voit que l’industrie y revient : dans les concours de bartenders, il y a de plus en plus dans les jurys des personnes qui ne connaissent pas forcément le monde du bar, pour avoir un palais “ordinaire”.
Il ne faut pas oublier que la plupart de notre clientèle, ce sont des gens lambda, qui viennent découvrir, et vivre une expérience. Ils sont contents car ils ont bu des cocktails qui leur ont fait plaisir et découvrir de nouvelles saveurs.  Il ne faut pas oublier que lorsqu’on va dans un bar, c'est pour être bien, pour passer un moment exceptionnel dans un lieu et un cadre magnifique.

Aujourd'hui, tu es responsable de bar au Harry's Bar à Cannes. Es-tu encore souvent derrière le bar ?

Je laisse désormais mon équipe être à 90-95 % derrière le bar. Je m’occupe de la création des cartes, en collaboration avec l’équipe.  Si je vais derrière le bar, déjà je vois moins les clients et je ne peux pas les accueillir.  Ensuite, c’est important que les jeunes soient derrière le bar, car s’ils ne font que de la salle, ils n'ont plus envie et c'est comme ça qu’un métier meurt.

Il y a aujourd’hui une crise avec des bartenders qui sortent assez rapidement du métier… C'est quoi ton secret pour rester aussi longtemps ?

C'est un métier qui est très difficile. Physiquement et psychologiquement c’est dur, nous avons aussi des horaires compliqués le soir.
Certaines personnes sortent du cocktail et choisissent de faire des horaires de jour : un bar la journée, à part faire des softs, des thés et des cafés, ce n’est pas le plus passionnant. Mais par confort ou contrainte de vie familiale, certains préfèrent avoir ce rythme de vie que je respecte.
Malheureusement, je n’arrive pas à comprendre des barmen qui ont fait 2 ou 3 ans de bar en France où à l’étranger parfois même pas un et qui reviennent en mode consultant ou brand ambassadeur et qui donnent l’impression qu'ils ont fait ce métier pendant 40 ans. J’ai travaillé dans les grands hôtels à Paris, les barmen sont restés 20, 30, 40 ans dans l'établissement jusqu'à leur retraite. Ils étaient tous prêts à mourir sur scène, ou presque. Aujourd’hui, les managers et responsables F&B des hôtels de luxe sont en train de tuer la passion qu’il y avait dans ces établissements : ils changent tous les deux ans, mettent une pression phénoménale sur le personnel avec des mails, des réunions, des heures démesurées, vouloir tout changer et révolutionner, pour finalement faire du vent. Ils saignent les équipes au maximum, donc même moi à un moment j’ai fini par saturer de tout cela…
Il m’arrive en plus de mon poste de le faire de manière occasionnelle pour des marques sur des événements et je peux te garantir que ce n'est pas pareil du tout : c’est un autre métier. Le bar, le plus important ça reste le client. Dans ces postes au côté commercial tu n’as plus de relation avec le client, donc je considère que tu ne peux pas dire que tu es passionné par le bar si tu n’as plus de contact avec le client !
Mon but, c'est que le client passe un bon moment dans mon établissement. C'est là que je prends du plaisir et que je suis heureux. Je ne crache pas sur les ambassadeurs : je travaille avec Massenez parce que j'aime bien leurs produits. Mais c'est surtout ce côté humain avec eux que je trouve génial, et pour lequel je prends vraiment du plaisir.
Ce monde parallèle permet aussi de faire des rencontres et garder la connexion avec les professionnels du métier.

Barman est un métier où l’on peut gagner notre vie confortablement, dans le sens où même si les salaires ne sont pas extraordinaires, on peut avoir des pourboires et faire plaisir aux autres. Par exemple hier soir, on s'est fait déchirer avec la terrasse pleine. Nous avons couru comme des malades. Tout s'est bien passé, personne n'a attendu.  À la fin, je me sentais trop bien, j'étais content. On s'est tous dit « on a passé une super soirée ».
Mais le fait d'avoir fait plaisir aux autres, de les voir boire leur verre, de discuter, d’être bien et que ça se ressent, j’adore.

As-tu une anecdote à nous partager ?

Des anecdotes, j'en ai un paquet. À Paris, il m’arrivait parfois de servir un Renard lors de mon arrivée pour la mise en place très tôt le matin : un client habitué en avant première s’était déjà introduit dans le bar avant l’ouverture je ne l’avais même pas vu assis entre deux tables encore rabaissées sur les fauteuils, et la j’entendais une voix m’interpeller «Daviiid, un Riiiicardd » Responsable mais pas coupable…
Des fois il m’arrivait même d’éteindre la télé en rentrant chez moi tellement que tous ceux que je voyais, c’était mes clients que j'avais eus toute la journée au bar.
Au Martinez, j'ai eu la chance de faire des Martinis pour Pierre Brossmann, ou Jane Fonda. J'ai Jamiroquai qui m'a déjà prêté son chapeau pour faire des photos avec lui. Surtout à Cannes, au Martinez, avec le festival, nous étions vraiment au cœur de la scène. J’ai Christophe Rocancourt, qui était au bar et me posait des questions pour essayer de me soutirer des informations sur telle ou telle personne.
Steve Lukather du groupe Toto qui m’a invité à leur concert à Carcassonne  avec ma famille quel moment intense avant de les rejoindre au bar de l’hôtel après le concert.

Si on revient un peu sur ton titre de MOF Barman… 

Le MOF, pour dire la vérité, je ne savais pas vraiment ce que c'était quand je me suis lancé.
Je savais qu'il y avait un gros questionnaire, et je me suis dit que ça pouvait être accessible en révisant bien.
C’était une période où j’avais fait pas mal de concours et je commençais même à passer côté jury. Les concours, au début je n’aimais pas ça, mais en me faisant violence, j’ai rencontré du monde, ça m’a fait évoluer et même me remettre en question.
Donc je me suis dit, le MOF, pourquoi pas ? C'est ce que je fais depuis toujours, c'est mon métier, je passe la plupart de mon temps au travail, je suis intéressé par les spiritueux, les cocktails, les classiques, et j'ai eu un bon enseignement, j'ai travaillé avec des personnes qui m'ont motivé. Donc qu'est-ce que j'ai à perdre à part essayer ? Mon but était juste de me qualifier pour la finale au départ.
Une fois en finale, c'est là que ça commence vraiment en fait. Les gens autour de toi et de la profession commencent à t’encourager. C'était un moment compliqué : on se coupe un peu du monde un an ou deux, car le temps libre à côté du travail, tu le passes à réviser. Je m'étais remis un petit peu au sport car la condition physique est importante pour réussir professionnellement. Rien n'est impossible dans la vie, si vraiment on se donne. C’est vraiment le message que j’essaie de faire passer à mon équipe.

Comment décrirais-tu le Harry's Bar de Cannes ? Comment ça se passe d'avoir une déclinaison d'un bar mythique à Cannes ?

Nous sommes contents, car nous avons apporté une nouvelle offre cocktail  à Cannes, qui sort de l’hôtel de luxe, avec un tarif relativement correct, à 16 euros le cocktail en moyenne. Le pari du propriétaire était de développer le cocktail à Cannes. Nous avons la chance d’avoir une belle clientèle. Nous sommes positionnés dans un lieu idyllique, en retrait de Cannes, sur le port-canto, face à la capitainerie.
Nous gardons le même ADN que le Harry’s Bar Paris, mais en s'adaptant à la clientèle locale. À Paris, les clients vont boire des cocktails plus classiques et plus secs. Nous, à Cannes, nous sommes sur une carte plus rafraîchissante avec des choses un peu plus visuelles. Nous restons dans le côté classique, mais avec une touche de modernité, sans trop non plus partir dans des délires trop farfelus.
Nous avons aussi une ambiance cubaine via l'architecture du bar. Grâce à notre terrasse extérieure, les clients peuvent fumer des cigares, nous avons de la musique latino cubaine, le tout dans une atmosphère chaleureuse.  Nous avons une clientèle de connaisseurs, mais aussi des personnes qui ne connaissent pas forcément les cocktails : ils veulent un café et ils repartent avec un Espresso Martini.
Cela a été un pari gagné : ça fait deux ans qu'on est ouvert, et ça cartonne. Nous avons tout le temps du monde !

Quel est ton cocktail coup de cœur, en ce moment ?

Quand je vais à Paris, bien sûr, je prends le Bloody Mary. À Cannes, c’est le French 75 : il est frais, il y a le petit spray d'absinthe. Pour moi, c'est vraiment un cocktail extraordinaire.
Donc, au moins, je fais plaisir aux autres, mais je me fais plaisir moi, avec des choses très simples.

Qu'est-ce qu'on peut te souhaiter pour l'année à venir ?

Je souhaite que ça continue comme ces dernières années : l’équipe se sent bien, les clients aussi.
Je me souhaite aussi de toujours avoir cette équipe de jeunes motivés avec moi, parce que c'est aussi grâce à eux que je prends plaisir à travailler là-bas. Je sais que je peux leur faire confiance. Nous avons aussi un patron et propriétaire  (Mr Franz-Arthur MacElhone) extraordinaire, je l'adore et toute l'équipe aussi, et nous sommes contents de travailler pour le Harry’s ! Nous sommes très fiers de faire honneur à une marque aussi emblématique de l’univers du bar !

Author

Fondateur de ForGeorges - plus de 1 000 bars testés à travers le monde - prend autant de plaisir à tester un nouveau bar, que déguster un spiritueux ou un verre de vin en bonne compagnie ! Spécialiste de la loi Évin et dénicheur de bonnes idées et innovations pour les marques d'alcool ! Son cocktail préféré ? Tous à partir du moment où ils font passer un bon moment (mais ne crache jamais sur un old fashioned bien réalisé ! ). Auteur des livres : Le Whisky C'est pas Sorcier, Le Rhum c'est pas sorcier et Les Cocktails c'est pas Sorcier, aux éditions Marabout et traduits en plusieurs langues (Anglais, chinois, japonais, russe, italien, néerlandais...) Auteur des livres : Le Whisky C'est pas Sorcier, Le Rhum c'est pas sorcier et Les Cocktails c'est pas Sorcier, aux éditions Marabout et traduits en plusieurs langues (Anglais, chinois, japonais, russe, italien, néerlandais...)

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