Les réseaux sociaux ont envahi nos vies personnelles et professionnelles. Mais quels usages en font les bartenders en 2023 ? Pour cela, ForGeorges, en collaboration avec Social Shake par Bacardi Martini France, a interviewé trois bartenders français, aux points de vue différents, pour comprendre et dérober leurs secrets. Aujourd’hui, nous interrogeons Nicolas Munoz, vainqueur France de la Bacardi Legacy 2017, et propriétaire des bars Bisou et Divine à Paris.

Avant les réseaux sociaux, quel était ton processus pour créer des cocktails ?

Je m’appuyais sur énormément de choses : goûter de nouveaux produits ou ingrédients. Également en rapport avec des choses qui m’inspirent. Mais je n’avais pas de médium spécial pour ça.

Et depuis l’arrivée des réseaux sociaux, qu’est-ce qui a changé ?

Tu as beaucoup plus de visuels. Aujourd’hui, l’allure d’un cocktail est devenue essentielle. La dégustation d’un cocktail se fait d’abord avec les yeux et c’est encore plus vrai aujourd’hui avec les réseaux sociaux.

Est-ce qu’un cocktail bon mais moins attrayant pourrait quand même avoir sa place dans tes établissements ?

Sur l’ensemble de la carte, il y aura forcément des choses moins belles, mais nous faisons quand même attention de trouver des solutions pour embellir le cocktail. Car même sans les réseaux sociaux, si tu amènes sur la table un drink moche, le client ne sera pas content et il aura raison !

Comment a évolué le design des cocktails depuis 10 ans ?

En tant que professionnel, nous cherchons le minimalisme, la verrerie fine. Mais au final, ce n’est pas du tout ce que le client veut. Il faut toujours trouver la juste balance entre les deux. On le voit encore plus aujourd’hui avec par exemple le bar Paradiso, situé à Barcelone et classé numéro un aux World 50 Best bars. Les gens adorent car ils font des créations over the top avec de la grosse verrerie. Tu reçois un cheval de troie sur ta table et ça fait son effet !

Garnish, glace… ce sont des choses qui ont évolué également ?

Complètement. Aujourd’hui, tout le monde travaille avec de la glace pure alors qu’il y a 10 ans, il n’y avait que le Sherry Butt à Paris. Même si le client ne comprend pas toujours et pense qu’à cause d’un gros glaçon il a moins à boire.

Est-ce le même processus de création de contenus pour Divine et Bisou ?

Ce sont deux processus différents de création : à Bisou, nous n’avons pas de carte. Donc quand nous devons shooter les cocktails pour les réseaux sociaux, nous sommes obligés d’accentuer sur le visuel. Tandis qu’à Divine, ce sont les vrais cocktails que l’on prend en photo.

Quelles sont les étapes de création ?

Nous prévoyons un shooting, hors des horaires d’ouverture. Nous faisons des cocktails en pensant au visuel avant tout, en s’inspirant de ce qu’on aime et de ce qui est dans la tendance.
Mais avec l’avènement de Snapchat, ou Tik Tok, les belles photos ne suffisent plus pour être mis en valeur par Instagram.
C’est un vrai métier de faire de la création de contenus photos et vidéos, avec de la post prod. C’est un chemin que nous avons tenté de faire à un moment, en essayant de se frotter aux Reels par exemple. Mais nous avons fait marche arrière pour désormais avoir un joli Instagram vitrine. Nous préférons mettre cette énergie sur nos clients.

Nos deux établissements visent les touristes. Mais quand tu commences à poster des reels, ton Instagram devient rarement joli.
Quand je suis à l’étranger dans une ville que je ne connais pas, pour choisir les bars que je vais tester, Instagram devient une vitrine. Donc si leur compte Instagram est moche, tu n’y vas pas forcément alors que peut être leurs drinks sont délicieux.

Quelle est ta stratégie avec les stories Instagram ?

On reposte ce que les gens postent, et on crée quelques contenus lorsque des moments intéressants se passent.

Quels sont tes budgets pour créer et gérer les réseaux sociaux ?

Nous n’avons pas de budget dédié. Lorsque nous faisons un shooting, nous payons un photographe. Et nous avons une employée qui dédie un peu de son temps à la gestion des réseaux sociaux. Mais ce qui représente au global chaque année par bar 5 000 euros grand maximum.

Qu’est-ce que ça t’apporte d’être sur les réseaux sociaux ?

Tout simplement de la visibilité. Désormais les gens ne s’envoient plus notre adresse, mais l’URL de notre page Instagram. Donc c’est clairement devenu notre carte de visite. Aujourd’hui, des clients peuvent venir dans nos établissements en nous montrant des photos du compte Insta, et c’est régulier depuis 2017.

Est-ce que les résultats de vos posts sur les réseaux sociaux influencent les créations à venir ?

Non. Nous nous adaptons à ce qui plaît à nos clients, mais pas à ce qui a le plus de succès sur nos pages Instagram.

De plus en plus de plateformes apparaissent. Est-ce que tu t’y intéresses et regardes ce qui s’y passe ?

Nous avons la même approche qu’avec Trip Advisor. Nous n’avons jamais créé de pages, mais nous savons que des clients partagent des choses sur nous dessus. Nous regardons de loin et c’est mon frère de vingt ans qui m’en parle.

Est-ce important pour toi que les consommateurs aient des drinks qui soient instagramables ?

Pour moi, ce n’est pas important. Mais je sais que c’est important pour le consommateur, donc ça devient important ! Tu sais que si ton drink est instagrammable, la personne va avoir envie de le poster et toucher son audience qui va être 100 ou 10 000 personnes, et donc nous faire de la pub.

As-tu imaginé tes établissements que pour que ce soit des lieux instagramables ?

Je ne l’ai pas fait, mais on peut considérer que c’est devenu important de le faire. Pour Bisou, nous avons eu de la chance car le lieu peut être considéré comme instagrammable. Mais on l’a pas fait rose pour qu’il le soit. C’était dans la tendance du moment .
Divine l’est moins par exemple, car il est plus sombre.
D’ailleurs, c’est pour cela que tout le monde organise des brunchs désormais. Pour être instagrammable, il faut une belle lumière forte de jour. Alors que pour les bars à cocktails, c’est plus compliqué. Par essence, c’est le soir, et c’est beaucoup plus complexe de faire de belles photos la nuit avec un smartphone dans un lieu sombre.

Je pense que l’avènement des brunch spots est très lié à Instagram. Tu manges la même chose partout, et tu pourrais même manger ça chez toi… Je suis persuadé que sans Instagram, il y a beaucoup moins de gens qui mangeraient des pancakes à Paris…

Sais-tu combien cette visibilité sur les réseaux sociaux te rapporte ?

Je ne le connais pas. Mais comme carte de visite, c’est sûr que ça dépasse l’investissement que l’on met dedans sinon on ne le ferait pas.

Si les réseaux sociaux venaient à disparaître, comment changerais-tu ta façon de travailler ?

Tous les établissements qui ont ouvert depuis 5 ans tirent profit des réseaux sociaux pour communiquer et attirer leur clientèle. Cela deviendrait certainement un vrai problème et il faudrait choisir des emplacements qui soient ce que l’on nomme des emplacements numéro un. Il faudrait aussi jouer à fond avec la presse, et les établissements seraient sûrement beaucoup plus centralisés.

Pour mon premier rade, Bespoke, il n’y avait que Facebook à l’époque et on ne se posait pas la question “il faut être sur Facebook et avoir le maximum de followers”.
Il faudrait aussi trouver d’autres solutions, comme s’appuyer par exemple sur les avis Google… que je trouve plus fiable que Trip Advisor.

Formes-tu tes employés à la gestion des réseaux sociaux ?

Pas du tout. Ils sont libres de faire comme ils veulent.

Les réseaux sociaux sont-ils un moyen de communication au sein de l’équipe ?

Pour professionnaliser et mettre une barrière plus forte entre le perso et le pro, nous travaillons avec un outil qui s’appelle Flock. Ainsi, nous avons un medium de communication pour le travail et juste pour ça. S’ils veulent parler entre eux sur messenger ou autre, ils peuvent mais pour le boulot, tout passe par l’outil.

Quels usages fais-tu des réseaux sociaux ?

Pour mes établissements, les réseaux sociaux sont notre outil de communication pour nos actualités. Nous utilisons Instagram, Facebook n’existant plus vraiment pour notre clientèle qui se veut jeune et dynamique.

Et à titre personnel ?

Je suis sur les réseaux sociaux, mais plus en tâche de fond. Je reposte des choses de temps en temps. Globalement, les réseaux sociaux m’ont gonflé. Je suis des comptes orientés bar et food. Un peu également les hobbies du moment, comme le foot pendant la coupe du monde.
Professionnellement, je suis assidûment Punch qui sort régulièrement des articles dédiés au monde du bar.

Pourquoi t’être détourné à titre perso des réseaux sociaux ?

Je me suis rendu compte que je n’aime plus trop ce qui se passe sur les réseaux sociaux actuellement. C’est devenu le temple de la parole unique et de la bien pensance. Tu peux avoir un avis contraire seulement si ça va dans le bon sens commun.

À un moment, les groupes Facebook de bartenders ont eu le vent en poupe. ça t’a été utile ?

Oui. Encore aujourd’hui j’ai l’impression que c’est uniquement via des pages Facebook pro comme Paris Bartender Community que certains bars recrutent. Quand on cherche du staff, nous postons également sur ce groupe. Mais c’est bien la dernière chose pour laquelle Facebook est intéressant. Mais je ne sais pas encore pour combien de temps car la nouvelle génération n’a même plus de compte Facebook…

Pour conclure, quelles sont tes recommandations pour un menu qui cartonne sur les réseaux sociaux :

Faire du beau, car si ce n’est pas le cas, les gens s’en foutent. Nous par exemple, on va passer notre compte Instagram en compte vitrine avec 6 à 8 photos qui changent tous les 6 mois et c’est tout.

Author

Fondateur de ForGeorges - plus de 1 000 bars testés à travers le monde - prend autant de plaisir à tester un nouveau bar, que déguster un spiritueux ou un verre de vin en bonne compagnie ! Spécialiste de la loi Évin et dénicheur de bonnes idées et innovations pour les marques d'alcool ! Son cocktail préféré ? Tous à partir du moment où ils font passer un bon moment (mais ne crache jamais sur un old fashioned bien réalisé ! ). Auteur des livres : Le Whisky C'est pas Sorcier, Le Rhum c'est pas sorcier et Les Cocktails c'est pas Sorcier, aux éditions Marabout et traduits en plusieurs langues (Anglais, chinois, japonais, russe, italien, néerlandais...) Auteur des livres : Le Whisky C'est pas Sorcier, Le Rhum c'est pas sorcier et Les Cocktails c'est pas Sorcier, aux éditions Marabout et traduits en plusieurs langues (Anglais, chinois, japonais, russe, italien, néerlandais...)

S’abonner
Notification pour
guest

0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x

NOUVELLE Newsletter

Gratuite, une fois par semaine, avec les actualités cocktails et spiriteux à ne pas louper, le tout à la sauce ForGeorges !