Les réseaux sociaux ont envahi nos vies personnelles et professionnelles. Mais quels usages en font les bartenders en 2023 ? Pour cela, ForGeorges, en collaboration avec Social Shake par Bacardi Martini France, a interviewé trois bartenders français, aux points de vue différents, pour comprendre et dérober leurs secrets. Aujourd’hui, c’est Mido Yahi, propriétaire du Café Moderne à Paris qui nous explique sa stratégie de la discrétion.

Le Café moderne a 10 ans. À cette époque, étais-tu sur les réseaux sociaux ?

Dès l’ouverture, nous étions contre ce que je nomme l’over communication. Nous avons été approché par des agences, mais ce n’était pas ce que nous souhaitions. Nous avons créé quand même une page Facebook et Instagram, utilisée comme vitrine.
Nous aurions pû surfer sur la vague, mais nous n’avons jamais souhaité devenir un endroit hype. Notre objectif a toujours été la longévité. En plus, en tant que propriétaire de son établissement qui est toujours derrière son bar, cela aurait signifié embaucher un community Manager pour faire cela.

Pourquoi ne pas l’avoir tenté ?

Nous avons refusé de faire de la communication aussi car nous étions un nouvel endroit, et tous autodidactes. Avec ma femme, nous revenions des Etats-Unis. Faire de la communication trop vite nous aurait certainement mis plus dans le jus qu’autre chose.

Photo ForGeorges

Mais à titre personnel, tu es néanmoins sur les réseaux sociaux ?

J’utilise les réseaux sociaux de manière satirique et second degré. Pour moi également, je ne fais pas de l’over communication sur tout ce que je fais, ni tous les projets que j’ai en cours. Les réseaux sociaux sont devenus trop “m’as tu vue”, alors que je n’ai jamais voulu ou cherché à devenir un influenceur. Je me considère plus comme un Laurent Baffie du milieu du bar.

Quelles plateformes utilises-tu ? Et pour quel usage ?

J’utilise beaucoup plus Instagram. Facebook, j’ai quasi abandonné. Je suis surtout des comptes autour de la musique, de la mode (les chaussures), mais aussi de l’art, et même du sport.

J’y passe beaucoup de temps, le smartphone à la main. On se rend compte que l’on passe plus de temps à communiquer via les réseaux sociaux que dans la vraie vie.

Je reste néanmoins très informé sur ce qui se passe grâce aux réseaux sociaux. Quand je lis un article sur ForGeorges sur le niveau de l’hospitalité dans les bars ou de Cocktailman qui a un discours très intéressant sur le côté pro et client, ça m’intéresse. Cela me permet de me remettre en question et de m’assurer que le client passe un bon moment et ne vient pas juste manger ou boire dans mon établissement.

Café Moderne

Que reproches-tu aux réseaux sociaux aujourd’hui ?

Nous avons créé un monde “Instagram VS reality”. Les gens viennent dans les bars car ils ont vu des choses sur les réseaux sociaux.
Notre concept a toujours été de faire un lieu avec une cuisine familiale, adapté à tout le monde. Après 10 ans, 85% de nos clients boivent des cocktails et sont des habitués. Le but était vraiment de devenir une institution et pas seulement une tendance éphémère.

Toute notre communication passe par le bouche à oreille. Nous avons la chance de recevoir des chefs, des bartenders internationaux ou nationaux. Ils passent tous au Café Moderne car ils savent qu’ils vont passer un agréable moment, bien manger et boire de super choses.

Instagram ou pas, peu m’importe aujourd’hui à partir du moment où le client passe la porte réelle, et non la porte virtuelle ! Je veux qu’il en ressorte en ayant appris quelque chose, ou passé un bon moment ! Mais je ne veux surtout pas qu’il ait l’impression de s’être fait voler ! C’est là mon métier et où je me dis “mon équipe a fait le boulot”. C’est là où tu vois les établissements qui durent dans le temps. Si tu mets trop le focus sur les réseaux sociaux mais que tu ne peux pas délivrer, le client n’est pas bête, il ira voir ailleurs, même si tu as les plus belles photos sur les réseaux sociaux.

Les réseaux sociaux ont pu me faire attraper le melon. J’avais un oeil très critique sur ce que les autres faisaient alors qu’en fait je ne jugeais que sur les réseaux sociaux… Heureusement, très vite, ma famille et mes amis m’ont remis les pieds sur terre.

Dans ton processus créatif, t’es-tu adapté pour que les cocktails deviennent instagramables pour tes clients ?

Cela a toujours été dans notre ADN de faire des cocktails qui soient beaux et bons. Sur les réseaux sociaux aujourd’hui, tu vois de magnifiques cocktails passés. Mais dès lors que tu regardes la recette, tu vois qu’il n’y a aucune cohérence…

Il y a 10 ans, nous avions un cocktail très kitch nommé Purple Rain qui était une revisite de l’Aviation. Les gens ne consommaient pas du Gin comme aujourd’hui. C’était servi dans un verre Copa avec un glaçon lumineux à l’intérieur. Les vendredis et samedis, il y avait des lucioles violettes dans toute la salle. Les gens adoraient cela et postaient des photos et des vidéos de l’expérience sur Facebook.

Aujourd’hui, on parle de cocktails ou de plats “instagrammables”, mais je pense que ça a toujours été le cas de vouloir de jolies choses quand on va dans un restaurant ou un bar. Je n’ai jamais fait des choses pour que ça plaise aux réseaux sociaux, car j’ai toujours eu une approche visuelle avec des décorations qui ont du sens, et qui sont comestibles. Je n’ai jamais suivi les tendances à ce niveau là, car j’ai toujours préféré les créer.

L’approche créative du Café Moderne a toujours été en avance. Quand nous avons lancé le Café Moderne, personne ne comprenait l’approche bistrot à cocktails dans une ambiance franchouillarde, avec cuisine du monde. En 2022, toutes les grandes tendances vont sur le thème Bistrot, où l’on peut bien manger et bien boire.

Nous avons toujours préféré que nos clients viennent sans forcément d’attentes et passent un excellent moment.

La page Instagram du Café Moderne est tout de même toujours active ?

Pendant le confinement, l’utilisation qui a été faite des réseaux sociaux par les autres établissements m’a un peu dégoutée. C’était la course à plus de contenus : du live, de la communication à outrance sur des choses à emporter. Comme d’habitude, nous n’avons pas voulu faire comme tout le monde. Nous l’avons switch off et nous avons juste fait un post au moment de l’installation de la terrasse où tu vois une équipe, des cuisiniers, des patrons, tous à genoux à galérer à monter une terrasse. Le métier, et la réalité, ce n'est pas de gérer une page Instagram.
À un moment donné pourquoi on lancerait une énième photo de nos boulettes qui sont depuis 10 ans à la carte ! Cela n’aurait aucun sens.

Pour les stories que les clients partagent en nous taguant, quelquefois nous partageons, mais pas tout le temps pour ne pas tomber encore une fois dans l’over communication.

Désormais, les marques demandent de la visibilité de la part des établissements. Est-ce que ça peut restreindre les partenariats ?

Sans doute, mais cela fait 10 ans que je suis dans l’industrie, et les marques m’appellent aujourd’hui pour mon expertise à créer ou comprendre les nouvelles tendances. J’ai travaillé avec tous les plus gros acteurs du marché français et européen. Ils font appel à moi sur la partie stratégie essentiellement, moins sur la visibilité de mon établissement. Je travaille sur beaucoup de projets en off.

Le plus compliqué pour les bartenders est de trouver le bon milieu. Aujourd’hui, on peut voir certains bartenders prôner un jour le fait maison, et le lendemain ils sont égéries pour son contraire. Influenceur, c’est devenu un métier où l’on sait qu’on va t'appeler pour utiliser ton image et asseoir une notoriété via les réseaux sociaux.

J’ai la chance de pouvoir choisir avec qui je vais travailler, et je suis heureux de voir les marques qui comprennent ma façon de travailler.

Café Moderne
Photo ForGeorges

En parallèle du Café Moderne, tu as des fonctions de "mixology creative Director" avec Riviera Dining Group à Miami ?

Mon travail au sein de Riviera Dining group a commencé en 2018 par un simple consulting. Aujourd’hui, je suis Mixology Creative Director, pour la stratégie autour du cocktail et de l’expérientiel sur la partie Beverage. Je vais devoir faire de la communication et j’aime le faire car j’ai tous les outils internalisés pour pouvoir le faire : une équipe marketing, une équipe digital, des équipes de production video et photo shoot.
C’est le jour et la nuit entre ce sur quoi je communique en France VS aux États-Unis.

Si demain nous devions ouvrir un autre établissement en France ou à l’international, nous serions certainement obligés de jouer le jeu des réseaux sociaux pour attirer une base de client assez solide. Mais je le ferais en restant légitime et en étant sûr que le produit offert aux consommateurs est parfait et qu’il parle pour moi. Aujourd’hui, tu as des établissements qui ne sont pas encore ouverts et qui ont 10 000 followers sur Instagram.

Est-ce qu'être moins visible sur les réseaux sociaux est handicapant pour les recrutements ?

Avec mes associés, nous n’avons jamais recruté quelqu’un du métier. Pendant longtemps, nous avons eu beaucoup de demandes grâce aux différents concours que j’ai pu gagner. Quand j’embauche quelqu’un, je ne regarde jamais le CV, mais je demande à voir le talent, et pour le moment, nous avons eu du flair pour dénicher des personnes créatives et curieuses.

Quels conseils donnerais-tu à un établissement pour bien gérer ses réseaux sociaux ?

Aujourd’hui, pour gérer toute la partie média, réseau sociaux, il faut embaucher une personne dédiée à cette tâche. Sinon, c’est trop compliqué d’être dans l’opérationnel et de créer du contenu. Soit via une agence externe, soit avec une personne en interne. Je n’ai jamais craché dessus, mais ceux qui le font, doivent faire attention à créer du bon contenu.
Un exemple que je regarde est Hollybelly ! Ils te montrent la réalité et l’envers du décor.
Pour un cocktail, il faudrait montrer toute l’histoire du cocktail et pas juste “voici notre nouvelle recette de daiquiri avec une émulsion de blablabla…”.

Penses-tu qu’il y a une uniformisation des contenus des bars à cocktails ?

Malheureusement tout le monde fait la même chose aujourd’hui sur les réseaux sociaux. Mais en même temps, toutes les cartes se ressemblent car ça fait 6 à 7 ans que l’on réadapte des choses sans en inventer de nouvelles. Au final, le client veut boire une paloma, quelque chose de réconfortant et autre chose de rafraîchissant avec de bons produits. Depuis quelque temps, je pense qu’on est descendu d’un niveau avec des choses qui étaient devenues trop complexes, seulement car c'était instagrammable.

Mido café Moderne
Photo ForGeorges
Author

Fondateur de ForGeorges - plus de 1 000 bars testés à travers le monde - prend autant de plaisir à tester un nouveau bar, que déguster un spiritueux ou un verre de vin en bonne compagnie ! Spécialiste de la loi Évin et dénicheur de bonnes idées et innovations pour les marques d'alcool ! Son cocktail préféré ? Tous à partir du moment où ils font passer un bon moment (mais ne crache jamais sur un old fashioned bien réalisé ! ). Auteur des livres : Le Whisky C'est pas Sorcier, Le Rhum c'est pas sorcier et Les Cocktails c'est pas Sorcier, aux éditions Marabout et traduits en plusieurs langues (Anglais, chinois, japonais, russe, italien, néerlandais...) Auteur des livres : Le Whisky C'est pas Sorcier, Le Rhum c'est pas sorcier et Les Cocktails c'est pas Sorcier, aux éditions Marabout et traduits en plusieurs langues (Anglais, chinois, japonais, russe, italien, néerlandais...)

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