Christophe Jumentier a déjà eu plusieurs vies au sein de l’industrie du bar : derrière le comptoir, avec son agence, ou encore chez l’annonceur. Nous avons discuté avec lui de la crise actuelle afin d’avoir son éclairage sur comment le milieu du bar peut s’en sortir, sans trop de casse…
Comment te décrirais-tu enfant ?
Je suis le fil cadet d’une famille de deux mômes. Ma grande soeur est une tronche dans les études. Donc la barre était très haute. j’ai eu une éducation très stricte, mais ça a titillé mon envie de l’interdit et d’aller flirter avec les limites. Mes parents m’ont très bien élevé dans le respect d’autrui et l’intérêt de la différence raciale, sexuelle, et religieuse. Donc une enfance beaucoup dans la culture et l’intérêt des autres. Et je passais beaucoup de temps à l’extérieur avec les copains et à faire du sport.
Quel est ton parcours ?
J’ai fait des études hôtelières en école hôtelière à Saint Quentin en Yveline : bac technique où j’ai pu faire de l’initiation à la restauration, à l’accueil, à la sommellerie, et au bar. Ensuite, une mention complémentaire barman.
À quel moment tu t’es dit que le monde du bar était fait pour toi ?
Assez rapidement : à la sortie du collège, je pense. J’ai eu des grands-parents qui cuisinaient pas mal. J’ai toujours été un épicurien à manger et tester de nouvelles choses. Dès la première année de bac technique, où je pouvais voir les mentions complémentaires barman habillées en rouge.
Au milieu de mon année de lycée, je travaillais et j’ai commencé par le bar pour un côté alimentaire, mais aussi par intérêt.
Si tu n’avais pas fait le bar ?
Dans l’hôtellerie restauration, la cuisine et plus particulièrement la pâtisserie, car j’adore leur précision. Mais aussi la conciergerie pour la proximité que tu as avec les clients. Les hommes aux clefs d’or, c’est une discipline assez dingue.
En dehors, j’aurais beaucoup aimé faire médecin, car le corps humain est une mécanique que je trouve incroyable. Ou le théâtre. Mais j’ai choisi le bar sans aucun regret.
Et si tu nous fais un résumé de tes expériences professionnelles ?
Une dizaine d’années dans l’industrie du bar, derrière et devant le bar. De commis jusqu’à responsable d’établissements dans des lieux très variés : des hôtels de luxe, des bars à cocktails indépendants, des groupes de restauration, des clubs de nuit. Avec des techniques et de la clientèle différentes.
Ensuite, un twist pour passer au trade marketing : 10 ans en tant qu’entrepreneur, mais aussi chez des grandes maisons. Et aujourd’hui avec ma nouvelle agence Heads & Legs.
20 ans dans l’industrie, quel bilan en tires-tu ?
Les choses qui n’ont pas changé et qui continuent de grandir c’est la passion des gens qui sont dans ce milieu-là. Je me bats dans mon nouveau projet pour que ça reste quelque chose de passionné. On ne peut pas vendre des bouteilles comme on vend des clous ou des vis.
Beaucoup de choses ont changé : le système de communication avec la partie digitale. La quantité de produits aussi : il y a 10 fois plus de distilleries, 10 fois plus de bars, 10 fois plus de produits référencés en GMS, 10 fois plus de cavistes.
Je vais reprendre une expression de ma grand-mère : “mon dieu, tout est en train de s’américaniser”. Et je pense qu’on s’est un peu américanisé, mais je le vois de manière positive.
Aussi bien barman que côté marque ?
Oui je pense. Le métier de barman n’est pas celui que j’ai connu il y a 20 ans. Tu étais focus sur le moment présent : ta carte, tes clients. Aujourd’hui, le barman est aussi un conférencier, un personnage public sur les réseaux sociaux, qui prend la parole sur les marques, qui doit avoir une communauté. Tu es obligé (ou presque) d’avoir une visibilité.
Au niveau marque, il suffit de regarder le portfolio des distributeurs. Il ne contient plus 10 références, mais 20, 40 voir plus. Donc ils gèrent ça avec des marques prioritaires, secondaires et tertiaires. C’est pour ça qu’aux yeux des barmen il y a des pépites, mais qui sont sous exploités par les distributeurs. C’est une autre façon de travailler.
Est-ce que les barmen sont devenus justement trop stars ?
C’est un sujet intéressant. 80% des gens du milieu sont à la recherche de visibilité. Car ça ouvre de nouvelles opportunités, du bussiness (argent, voyage…). Mais parfois on peut constater qu’il y a certaines personnes qui se vendent au prix fort. La contrepartie c’est qu’il a des gens incroyables, mais peu exposés, car elles n’aiment pas ça. D’autres sont de super communicants, de super RP, mais ne sont plus derrière leur comptoir, car ils sont très demandés.
Quand on a commencé à mettre en place des concours pour médiatiser les gens, c’est ça aussi qui a participé à la transformation de notre métier.
Après est-ce que c’est propre à notre milieu ? Je vais parfois dans des boutiques où ils vendent un pneu et ils se prennent aussi pour des stars (rires).
Comment vois-tu la scène du bar français ?
Chacun des marchés évolue tellement vite. Surtout avec le confinement. En 10 ans, la France a beaucoup rattrapé la méconnaissance du consommateur en termes de cocktail, et grâce à ses barmen stars.
Par contre versus l’international, culturellement c’est dans notre ADN, ce côté plus individualiste. Aux US, c’est très show off. Au UK, c’est rude dans la compétition, mais après on va tous boire une bière.
Comment emmener cette scène encore plus loin ?
Nous sommes sur un marché où l’on fait 70% ou plus en GMS. Forcément, il y a une façon de communiquer qui est très pro consommateur. Quand une société embauche en interne, ce sont des gens qui devraient être davantage écoutés. Après une société, je sais bien que c’est un plan comptable à suivre, mais il ne faut pas oublier les constructions de niche.
Je prends souvent l’exemple des portfolios divisés en Off Trade et on Trade. Quand le produit fonctionne, on le passe en Off Trade et on créera de nouveaux produits pour le On. Sauf que ceci est très théorique. On ne laisse plus assez le temps aux marques de grandir en On Trade. Le développement de la culture cocktail passe aussi par là. Et éduquer le consommateur est important. Il faut accepter que le niveau du consommateur en France n’est pas celui d’un autre marché. On a une clientèle qui est vinifiée et biérifiée, car c’est notre culture avec la bouffe.
Donc si un client ne connaît pas, il faut l’initier au cocktail. Les sociétés avec les barmen doivent travailler ensemble. Et non uniquement, cet établissement fait du volume donc je vais mettre tout mon budget pour faire un flagship. Est-ce que l’on réussit comme ça à éduquer le consommateur ? Il faut plus travailler main dans la main et pas juste libérer du cash…
Avec la crise, qui s’en sortira le mieux ?
Je ne lis pas l’avenir dans une tasse de café. Mais j’observe et je parle avec les barmen, les chefs de produit, les gens qui cherchent du travail, des clients qui cherchent des solutions. Je pense que tout est lié. Mais au niveau des sociétés de distributions et des bars, c’est la première fois que tout le monde a le même problème. Et même les gros ont les mêmes problématiques que les petits. Et il faut se creuser la tête pour trouver des solutions.
Certaines sociétés communiquent maintenant. Mais, c’est surtout le APRÈS qui va être important. Si les établissements ouvrent début juin, pour les lieux qui ont une capacité d’accueil de 80 personnes en temps normal, si tu les passes à 40 personnes, ils pourront encore s’en sortir. Mais un établissement qui a une capacité de 15 personnes, qui passe à 7 ? Est-ce qu’ils pourront s’en sortir ? Et c’est là que vraiment on verra comment les sociétés de distributions et les propriétaires de marques pourront vraiment aider les établissements !
Quelles offres ? Quels systèmes de communication ? C’est ça que j’ai hâte de voir sur les 4 prochains mois.
Pour les établissements, peut-être que ceux qui sauront être le plus vrai, et qui garderont une certaine humilité, avec une communication différente des autres s’en sortiront mieux. Faire des tutos c’est toujours positif, mais après c’est quoi ? Peut-on accueillir les consommateurs en étant masqués ? Comment voir les attentions d’accueil ? Tu retires 80% des expressions d’un visage en ne gardant que les yeux. Comment la clientèle va le percevoir ? Ce sont des vraies questions à se poser.
Des initiatives doivent être mises en place pour les établissements par les sociétés de distribution. Je t’ai fait des tabliers depuis 10 ans, mais là je vais te faire des masques, je vais te mettre des bornes à disposition. Quelles nouvelles expériences les établissements vont proposer pour garder leur clientèle, voir la développer ?
Parle nous de ton noveau proejt : Heads & Legs ?
C’est un projet que j’ai depuis un petit moment en tête. Je suis passé par différents postes. Et la solution d’Heads & Legs c’est d’avoir un accompagnement de conseils et d’idées dans l’industrie des spiritueux via 3 axes : le recrutement, mais avec un concept simple “on ne vend pas un spiritueux comme un autre produit alimentaire”. Il faut de la passion.
Le deuxième volet c’est sur la formation, et la prise de parole en public pour différents niveaux. J’avais fait un partenariat avec les cours Florent, car on a très vite compris que dans les concours de bar il y avait le cocktail, la technique. Mais aussi le show pour que ça devienne passionnant.
Le dernier volet c’est l’accompagnement de marque dans la stratégie d’accompagnement On trade. Aussi bien sur des projets d’implantation de nouvelles marques, que sur des stratégies d’activités expérientielles pour développer les marques.
Et travailler avec des spécialistes dans chaque domaine pour venir compléter l’offre pour proposer des solutions complètes pour de nouveaux produits, des produits existants, mais aussi ce que j’appelle les endormis, c’est à dire des produits qui ont des potentiels énormes.
C’est un système d’advocacy externalisé.
On te souhaite quoi pour 2020-2021 ?
À titre personnel, la santé. Encore plus en ce moment. Et une bonne préparation de mon mariage pour 2021 !
Au niveau pro, j’ai réellement hâte que l’on trouve un moyen d’enrayer cette “saloperie” et que l’on puisse faire repartir nos activités le plus vite possible.