Georges aurait pu comme il le fait souvent, vous faire un résumé très factuel de la Campari Bartender Competition 2018. Mais pour une fois, il a décidé de vous en livrer un résumé beaucoup plus personnel.

H- 24.  Campari Bartender Competition 2018 : le stress du juré

On croit seulement que les organisateurs et les candidats sont stressés pour une compétition de barmen. C’est faux. Les membres du jury peuvent l’être aussi. Un mélange d’excitation et de stress. Pourquoi ? C’est vrai les membres du jury ont le bon rôle : assis sur leur chaise, dos au public à mettre la pression face aux candidats. Ça, c’est le point de vue commun. Mais dans les faits, avoir la chance de faire partie d’un jury implique des responsabilités.

« Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités » – Benjamain Parker – Spiderman.

OK il n’y a pas mort d’homme en cas d’erreur, mais le risque de briser les rêves de certains. Le risque de propulser sur le devant de la scène la mauvaise personne. Celle qui ne correspond pas à ce qui est recherché pour le concours. Celle qui pourrait se faire briser à l’étape suivante. Faire partie d’un jury de concours de barmen, c’est faire preuve de bienveillance, mais aussi d’exigence. Pardonner les petites erreurs dues à la pression, mais savoir remarquer celles qui sont de vraies fautes.

C’est marrant, car c’est la 3e année que j’ai la chance de faire partie du jury de ce concours, donc je devrais être habitué à cela. Mais ça n’empêche que le stress est toujours là. Malgré avoir fait juré dans plusieurs autres compétions toutes aussi prestigieuses, la Campari Bartender Competition a une place particulière dans mon coeur.  Le fait de la voir grandir depuis 3 ans et s’améliorer d’année en année.

On peut croire qu’un concours de bartender est une chose facile à organiser. Non, loin de là.  Il suffit de voir les semaines de préparation aux organisateurs. Les dizaines de personnes nécessaires le jour J pour que tout se passe limpidement. Pour que les concurrents se sentent bien et que tout soit à disposition pour sortir leurs plus belles créations. Pour que le jury soit dans les meilleures conditions pour décider si oui ou non le candidat a sorti un drink qui vaut la peine d’aller à l’étape suivante. Ce n’est pas comme un tribunal où le juge est seul à décider. Et la grille de notation est là également pour nous aider à cocher les cases. D’ailleurs cette année nous étions 6 dans le jury. Et quel jury. Entre le dieu du Negroni (Mauro Mahjoub), celui du vermouth (François Monti), et d’autres experts du cocktail :  Leonardo Leuci, Henri Lunelli, Davide Fornasiero.  Clairement, les raisons sont grandes d’être impressionnées par la qualité des personnes qui se trouveront à côté de moi.

Ensuite vient la question des participants. Le monde du bar est un petit milieu et forcément il y aura des personnes que je connaîtrai le jour J. Entre les soirées, les voyages, les concours précédents, etc.  Le risque est double : faire preuve de trop de sympathie pour eux. Mais aussi le risque de compenser en faisant preuve d’une plus grande inflexibilité et en ne leur laissant rien passer. À contrario, comment gérer si une personne que je ne supporte pas se présente devant moi ? Dois-je faire preuve de plus de sympathie au risque de le surcoter ? Toutes ces questions se posent.

Enfin le thème du concours de la Campari Bartender Competition 2018 : le Negroni autour du monde. Il est temps pour moi de m’interroger sur ma notion de Négroni, mais aussi à celle des experts de ce cocktail. Quelle place accorder aux interprétations que je verrai ? Car bien sûr il ne s’agit pas du meilleur pâtissier sur M6, où il suffit de copier la recette de Mercotte. Là, nous sommes sur de la réinterprétation, de l’inventivité de la part des participants. Jusqu’où peuvent-ils aller pour que ça garde l’âme d’un Négroni, mais sans le dénaturer ? Et finalement est-ce que je peux réellement le savoir ? N’est ce pas en voyant les créations que je pourrai vraiment en juger. Je fais quand même quelques recherches sur les réinterprétations déjà existantes histoire de ne pas me faire berner par un malin qui aurait eu l’idée de faire du copier coller.

 

Campari Bartender Competition - Julie Cétan, du bar The Mumbaï Café (Lyon) avec sa création « The Reform Club »

 

H 0 : la Campari Bartender Competition est lancée.

On sent le stress monter côté participant. Les regards se figent sur le sol ou dans les airs. Les bouchent répètent leur speech. Les mains s’échauffent pour éviter les gestes maladroits. En plus, le concours se fait cette année en anglais pour les participants. Pour les moins bilingues, on ajoute du stress au stress. Les gestes qui déjà sont moins fluides en compétition se raidissent un peu plus quand il faut trouver les bons mots en anglais. Le mode tremblote est enclenché. Que les barmen se rassurent, j’ai déjà vu des pontes du cocktail mondial trembler comme des feuilles lorsqu’il s’agissait de monter sur scène et de défendre leur création.

Clairement ce n’est pas ça qui jouera dans ma décision. Mais dans quel monde le candidat souhaite-t-il m’entrainer ? Est-ce qu’il y a une vraie recherche sur l’alcool ? Une vraie investigation sur le cocktail ? Une vraie imagination et création ? Une des meilleures à se poser à ce moment-là est sûrement celle que nous échangions entre membres du jury : est-ce que tu finirais ce verre si tu l’avais commandé dans un bar ? Et encore mieux : est-ce que j’en commanderais un deuxième ? Là si je réponds oui au 2 questions, même si le candidat n’est pas assuré d’être qualifié, il met le curseur de points hauts. Ajoutez-y une histoire qui me met les poils ou qui m’emmène dans votre monde et c’est bien parti pour passer l’étape suivante.

Le problème, comme me le disait mon compatriote italien à ma gauche, c’est que beaucoup ont fait goûter leurs créations avant de participer à leur pote, et non à leurs clients. Un pote aura toujours un mot gentil sur la création. Il n’est pas là pour casser le moral alors que vous venez de passer deux semaines à faire vos infusions ou autres.  Un client vous dira franchement ce qu’il en pense, surtout s’il a payé pour commander ce cocktail ! Donc, on a eu le droit à une surenchère dans l’amertume.

Oui, un Négroni joue sur des saveurs amères. Oui, Campari est un amer. Mais il ne faut pas oublier que la base d’un bon cocktail c’est l’équilibre. Un cocktail sans équilibre, c’est la même chose qu’un plat trop salé. Tout l’emporte et ça gache le plaisir. Qu’est-ce qui va faire que cette amertume va être contrebalancée ? Bien sûr, la tache est ardue. Retravailler et re-imaginer un cocktail iconique comme le Négroni est une tache on ne peut plus difficile. Travailler avec un produit comme le Campari n’est pas non plus une chose aisée. Mais en même temps, c’est presque la seule limite. À part Campari, tout ou presque peut être changé à partir du principe où l’on retrouve les « couches » d’un Négroni : un produit vineux, un alcool fort, Campari.

Bien sûr, comme chaque concours on a eu le droit également à la surenchère de produits originaux. Quand certains permettent de valoriser le produit et les cocktails, d’autres nous ont juste emmenés dans une impasse gustative. L’originalité poussée à l’extrême paie lorsqu’elle raconte quelque chose. C’est une garantie que les autres participants n’y auront pas pensé. Mais c’est aussi le risque de partir dans un registre qui pourra perdre certains membres du jury. Pour ça aussi, tout est une question d’équilibre et cette prise de risque doit être justifiée.

Mais heureusement cette année encore les créations ont été au rendez-vous de la Campari Bartender Competition. Il y aura eu des choses originales qui m’auront laissé sur ma faim. Dommage, avec quelques améliorations, cela aurait vraiment pu me propulser dans un autre monde. Les concurrents me répondront que ce n’est pas évident : des délais sont serrés pour préparer tout cela, un travail prenant en parallèle. Clairement, les concours sont un investissement en temps et en énergie. Mais n’oublions pas qu’il s’agit aussi d’un moment festif. De montrer sa capacité à des juges certes, mais aussi à l’ensemble de la profession et à la marque. L’occasion de faire en sorte que son bar que l’on connaissait peu se prenne un coup de projecteur.

 Campari Bartender Competition Chirine Cabaret-Besenval, du bar Kouto (Paris) avec sa création « Une escale à Téhéran »

L’heure du verdict

Les 4 heures de compétitions se terminent. Il est temps pour le jury de se réunir pour apprendre qui sont les trois barmen qui iront disputer la finale le lendemain même, pour servir le même cocktail à 150 personnes. Les gagnants choisiront leur aide parmi tous les participants non retenus pour la finale (oui là vous pouvez voir un point commun avec M6 et l’émission Top Chef).

Dans cette compétition, on ne change pas les notes au dernier moment pour privilégier un candidat au détriment d’un autre. Les trois finalistes nous sont donnés. Petit moment de flottement. Certains cocktails que j’avais adorés ne se retrouvent pas dans les trois finalistes. C’est dur pour les candidats qui ne sont pas retenus. Mais c’est aussi dur pour les membres du jury. En en discutant avec d’autres jurés, on a tous nos déceptions. Mais c’est ce qui nous rappelle aussi que l’on a tous des goûts différents et c’ets ce qui fait la beauté des concours.

Les trois finalistes vont nous proposer un éventail de cocktails avec des partis pris très différents. Il y a aura de l’amertume assumée, de l’amertume masquée et de l’amertume aussi d’avoir fini mon rôle de membre du jury de la Campari Bartender Competition 2018. Enfin pas tout à fait, car il me reste ce soir à aller tester les créations au milieu des 150 personnes, le grand public, qui seront présentes pour choisir le cocktail qu’ils pensent mériter le titre de champion français de la Campari Bartender Competition France 2018.

Je ne peux pas terminer cet article sans remercier tous les participants. Merci de nous faire partager vos créations. Pour certains c’était la première fois, et ils se sont débrouillés comme des chefs. Je remercie également Campari France de me faire confiance pour la 3e année consécutive; c’est toujours un grand honneur pour moi de faire partie de ce jury. Et un grand bravo à l’agence Faux Rêveur en charge de l’organisation et qui comme d’habitude, y a mis beaucoup de passion ! C’était fantastique.

 

Les 3 gagnants de la demi-finale Campari Bartender Competition France 2018 qui s’affronteront ce soir en finale:

⦁ Julie Cétan, du bar The Mumbaï Café (Lyon) avec sa création « The Reform Club »

⦁ Chirine Cabaret-Besenval, du bar Kouto (Paris) avec sa création « Une escale à Téhéran »

Elie Favreau, du bar Domaine de Rabat (Talence) avec sa création « De Cognac à Milan »

 

 

Campari Bartender Competition Elie Favreau, du bar Domaine de Rabat (Talence) avec sa création « De Cognac à Milan »

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Fondateur de ForGeorges - plus de 1 000 bars testés à travers le monde - prend autant de plaisir à tester un nouveau bar, que déguster un spiritueux ou un verre de vin en bonne compagnie ! Spécialiste de la loi Évin et dénicheur de bonnes idées et innovations pour les marques d'alcool ! Son cocktail préféré ? Tous à partir du moment où ils font passer un bon moment (mais ne crache jamais sur un old fashioned bien réalisé ! ). Auteur des livres : Le Whisky C'est pas Sorcier, Le Rhum c'est pas sorcier et Les Cocktails c'est pas Sorcier, aux éditions Marabout et traduits en plusieurs langues (Anglais, chinois, japonais, russe, italien, néerlandais...) Auteur des livres : Le Whisky C'est pas Sorcier, Le Rhum c'est pas sorcier et Les Cocktails c'est pas Sorcier, aux éditions Marabout et traduits en plusieurs langues (Anglais, chinois, japonais, russe, italien, néerlandais...)

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