Jura. Une île avec seulement une route, un pub, une distillerie. Il ne devrait pas y avoir grand chose à raconter. Pourtant nous ne savons par quel bout commencer, tant cette journée fût forte en expériences incroyables ! Georges Orwell l’a d’ailleurs décrite comme « l’endroit le plus inaccessible ». C’est ici qu’il rédigea son roman « 1984 ».

À peine débarqué du ferry, il suffit de suivre la voie unique de l’île. Une one track : une seule voie mais avec de la circulation dans les deux sens. Il faut dire qu’avec à peine 170 habitants pour 368 km2, il n’y a pas foule… C’est d’ailleurs un énorme sentiment de liberté qui nous envahit en arrivant sur Jura.

Mais c’est aussi une véritable claque visuelle : la route suit les méandres de la côte de Jura. Juste un panneau pour nous signaler de faire attention aux cerfs. L’île en dénombre quelques 6 000 têtes. Pendant 20 minutes de route, pas le moindre signe de civilisation, hormis une maison solitaire. Soudain apparaît l’hôtel de Jura, qui sert aussi de pub, et fait face à la distillerie. À 30 mètres devant nous, l’océan, la mer, un loch ? On ne sait plus… Il s’agit en fait du Sound of Jura, un bras de mer aux forts courants, séparant l’île du reste de l’Écosse.

Ici, c’est Willie Cochrane, le Distillery Manager en personne qui nous accueille. Son parcours ? Dédié à sa distillerie, tout simplement. Arrivé en tant qu’opérateur de brassage en 1976, il passa rapidement ingénieur, puis brasseur, pour enfin devenir distillateur de Jura. Au service de la même distillerie depuis 38 ans, on pourrait penser qu’il est un peu lassé. Pas le moins du monde : ce petit homme est bourré d’énergie. Nous avons dû lui demander 10 fois de ralentir la cadence pour réussir à le suivre ! D’ailleurs en le croisant à nouveau sur le ferry du retour, il nous annonce qu’il est sur pied depuis 5h30, car la chaîne de fabrication avait eu un souci dans la nuit ! Vrai passionné, il se donne corps et âme pour sa distillerie !

Quand on lui annonce que l’on revient de la brasserie d’Islay, il nous dit que sur Jura « We drink whisky like beer, in pint ». S’en suit un énorme éclat de rire. Un rapide regard sur le chemin parcouru par la distillerie depuis sa création en 1810 nous fait comprendre que celle-ci est atypique. La légende veut que les premières traces d’une distillerie sur l’île remonte à plus de 400 ans. C’était « complètement illégal à l’époque », rigole-t-il.

L’autre date importante est 1938, avec la réalisation de la prophétie. La distillerie a un passé, un présent et un futur très lié à l’histoire mystique de l’île. Vers 1700, les Campbell de Jura jetèrent hors de l’île une vieille prophétesse. En guise de vengeance, elle leur prédit que le dernier Campbell quitterait l’île borgne, sans un sou et dans un chariot tiré par un seul cheval blanc. Cette prophétie se réalisa en 1938, lorsque Charles Campbell, devenu borgne lors de la Première Guerre mondiale, emmena son cheval blanc vers la vieille jetée pour la dernière fois.

La distillerie aurait aussi pu disparaître en 1956. À cause de la Seconde Guerre mondiale, le nombre d’hommes sur l’île était très bas et la population s’est réduite à moins de 120 personnes. « Ils sont partis chercher des mecs comme moi à Glasgow » rigole Willie ! C’est réellement en 1963 que la distillerie connaît sa grande métamorphose et se modernise.

On monte à la cuve de maltage. La tradition veut qu’on frappe un fond de fût accroché au mur pour porter « Good Luck ». Sans hésitation, Georges frappe fort ! Ensuite rapide coup d’œil sur les 6 washbacks de métal, en charge de la phase de fermentation. On en ouvre un et on admire le « whisky » en devenir tout en faisant attention au CO2 qui s’en échappe, pour ne pas tomber dans les pommes !

Enfin, nous arrivons dans la partie la plus impressionnante : la distillation. Quatre imposants alambics trônent fièrement dans la salle. « Parmi les plus gros d’Écosse, pas les plus grands » d’après Willie. Deux anciens des années 60 de chaque côté et deux plus récents au centre, tous alimentés par vapeur. Des lumières rouges sont disposées sous les alambics, rappelant l’époque où ceux-ci étaient chauffés par des feux. Deux distillations sont effectuées pour le whisky Jura. Willie permettra à Georges de goûter l’alcool à la sortie du premier alambic.

Maintenant, direction les chais, Willie veut nous montrer sa collection de fûts : 29 746 à ce jour, répartis dans quatre chais dont un légèrement excentré. Deux couleurs pour différencier les fûts : bleu pour les premières utilisations par Jura, jaune pour les autres. Et les noirs marqués Ardbeg tout en haut ? « C’est pour rendre service à la distillerie Ardbeg. Ils ont eu un souci avec un toit de leur chai, du coup on leur garde en attendant. »

Mais concentrons-nous sur l’essentiel. Willie nous sert deux verres directement du fût : un en finition Mathusalem, l’autre en finition sherry cask. Deux couleurs et deux approches sensorielles totalement différentes. Là où le Mathusalem est plus agréable au nez, c’est le sherry qui se distingue en bouche par plus de rondeur et moins d’agressivité. Willie est content que nous ayons le même avis que lui. Il est donc temps de passer aux choses sérieuses : la dégustation.

Rachel nous a rejoint pour nous faire déguster une large sélection de leurs whiskies dans un endroit absolument improbable : le lodge Jura. Imaginez un lieu oscillant entre design contemporain et kitsch XIXe, qui vous plonge au cœur d’une Écosse rêvée. Ajoutez-y un duplex avec 4 chambres toutes différentes, et tout en haut, deux immenses pièces avec vue sur les côtes écossaises. L’endroit est absolument incroyable. D’ailleurs la marque le loue pour 2500 £ par nuit, ce qui les vaut amplement.

La sélection est axée autour « de whiskies disponibles en France, mais aussi quelques éditions très dures à trouver ». Le fameux Jura 40 ans ? Non, il n’existe plus qu’une bouteille de celui-ci à la distillerie de Jura. Et c’est un fac-similé, nous expliquera Willie toujours avec son sourire rieur.

On reviendra dans un prochain article sur l’ensemble de cette dégustation. Là, il est temps pour Georges de dormir (il parait même qu’il a vu le fantôme du lodge de Jura) puis de reprendre la route d’Islay via ferry pour continuer son tour des distilleries…
Prochaine étape ?

Crédit photos : AlphaRe

 

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Fondateur de ForGeorges - plus de 1 000 bars testés à travers le monde - prend autant de plaisir à tester un nouveau bar, que déguster un spiritueux ou un verre de vin en bonne compagnie ! Spécialiste de la loi Évin et dénicheur de bonnes idées et innovations pour les marques d'alcool ! Son cocktail préféré ? Tous à partir du moment où ils font passer un bon moment (mais ne crache jamais sur un old fashioned bien réalisé ! ). Auteur des livres : Le Whisky C'est pas Sorcier, Le Rhum c'est pas sorcier et Les Cocktails c'est pas Sorcier, aux éditions Marabout et traduits en plusieurs langues (Anglais, chinois, japonais, russe, italien, néerlandais...) Auteur des livres : Le Whisky C'est pas Sorcier, Le Rhum c'est pas sorcier et Les Cocktails c'est pas Sorcier, aux éditions Marabout et traduits en plusieurs langues (Anglais, chinois, japonais, russe, italien, néerlandais...)

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